Résumé : Le cinéma du sud-coréen Bong Joon-ho se déploie dans un entremêlement de genres et de registres qui témoignent d’une attention toute particulière aux mécanismes de la servilité et des déterminismes. Le réalisateur cultive un goût pour le trivial et le burlesque et porte un regard incisif sur les différences de classes sociales, jouant de manière jubilatoire avec les codes cinématographiques et les attentes du spectateur pour déployer une esthétique à la fois naturaliste et conceptuelle.
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Comme à son habitude, l’excellente revue Éclipses consacre son nouveau numéro à un réalisateur consacré. C’est cette fois-ci le Sud-coréen Bong Joon-ho qui est à l’honneur, l’étude de sa filmographie profitant de plusieurs pistes de lecture regroupées à travers quatre grandes parties. Tout en prouvant la cohérence de son œuvre, les articles cherchent à définir la singularité de son identité artistique. Celle-ci trouve d’abord sa source à travers une culture particulière qui fait de l’impromptu et de l’imprévisible un moyen d’enrayer la mécanique bien huilée de la fiction. Sans rien perdre de leur efficacité narrative, les films du réalisateur accueillent ainsi des moments autonomes qui déconstruisent ponctuellement la régularité de la dramaturgie en place pour suspendre et interroger l’orientation de sa structure. Ce phénomène de rupture est interprété à travers certains traits propre à l’identité nationale du cinéaste (le « piksari ») mais aussi par le biais de motifs visuels dont la récurrence les constituent comme d’authentiques signatures stylistiques traversant un film unique (les raccords dans l’axe dans Memories of Murder) ou un corpus élargi (les cadres dans le cadre et la profondeur de champ qui animent les compositions de Barking Dogs Never Bites, Mother et Snowpiercer). Le cinéma de Bong Joon-ho est aussi un cinéma d’espace(s). Souterrains, poreux, construits sur l’idée d’une verticalité topographique et symbolique (le rapport de classes de Parasite) ou marqués par l’invisibilité partielle des spectres ou des ombres, les lieux que décline sa filmographie se prêtent à une réflexion sur la géographie du cadre cinématographique et la nature des êtres qui l’habitent.
Fréquemment soumis à une hiérarchisation sociale, ces derniers évoluent à l’intérieur de territoires dont les limites sont mis en cause par le cinéaste. La question de la rupture réapparaît alors mais selon une acceptation plus politique dont les contributeurs soulignent à raison les nombreuses nuances permettant au réalisateur d’éviter toute approche didactique ou démagogique. Car la force de l’œuvre de Bong Joon-ho est de privilégier le langage des images dans la construction de son discours.
L’attention se porte alors sur les éléments qui traversent les plans et remodèlent la matérialité de leurs représentations. La polysémie déployée par le motif de la pluie, la suspension induite par l’objet photographique, les mutations plastiques qui altèrent les corps et l’architecture du paysage, se font communément objets d’une poétique plastique et critique.
À l’excellence théorique du fond répond la clarté de la mise en page. À l’instar de ses précédents numéros, la revue a alloué une grande place aux captures d’écran qui permettent de soutenir les réflexions des contributeurs et de valoriser la pertinence de leurs analyses.
- BONG JOON-HO. DES CHIMÈRES ET DES HOMMES
- Auteurs : Hélène Valmary et Yann Calvet (coordonné par)
- Éditions : Éclipses, n°68
- Date de parution : 16 juin 2021
- Langues : Français uniquement
- Format : 144 pages
- Tarifs : 15 €