Résumé : C’est un livre sur les actrices, mais pas n’importe lesquelles. On y parle des « actrices-sorcières », les bizarres, les méchantes, les trash, les punks, les cool, les marginales. Reliées par leur puissance de feu — feu sacré, goût pour la brûlure —, toutes ont en commun de sortir du rang en incarnant la possibilité d’une autre voie. Des trajectoires de femmes qui, dans les films, dans la vie, auront été autre chose que des princesses endormies.
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Qu’est-ce qui définit une sorcière au cinéma ? Un chapeau noir et cornu, un balais volant, une pustule sur le nez et un chaudron fumant ? Pour Thomas Stélandre, critique littéraire pour Libération, c’est moins l’apparence que l’identité qui fait la sorcière. De fait, l’ « actrice-sorcière » se présente-t-elle comme « singulière, marginale, démoniaque », mais aussi vorace, fugitive et impénétrable. Un ensemble d’étiquettes qui lui permettent de réunir des personnalités aussi différentes que Jeanne Moreau, Jennifer Jason Leigh, Sean Young, Béatrice Dalle, ou encore Rose McGowan. Tout en assumant le goût cinéphilique qui l’a vu privilégier des actrices occidentales (Stélandre rappelant très justement que le cinéma asiatique se présente aux côtés d’Hollywood comme la terre d’élection de nombreuses sorcières du grand écran), l’auteur choisit d’aborder chacune de ces figures selon un angle différent. À la sororité (maléfique) entretenue par Dalle et Asia Argento répond la question de la vieillesse posée par Moreau, ou encore les problématiques de la métamorphose et de la lutte telles qu’incarnées par Young et McGowan. Représentante d’un pan de la féminité, la thématique de la sorcière invitait naturellement à une interrogation sur le genre et l’identité. L’androgynie Tilda Swinton permet ainsi de revenir sur le rapport trouble du masculin et du féminin, tandis que l’exemple de Emmanuelle Béart invite Stélandre à s’intéresser à la chirurgie esthétique. Toutes les actrices convoquées au cours de cet ouvrage ont ainsi eu à cœur de réfléchir leur représentation (cinématographique et publique) pour mieux affirmer leur indépendance d’esprit. La chose est particulièrement saisissante chez Jennifer Jason Leigh à laquelle l’auteur consacre de beaux commentaires qui reviennent en profondeur sur l’ensemble de sa filmographie, mais demeure tout aussi vrai à propos de Eartha Kitt dont la peau d’ébène revêtit le costume de la plus féline de toutes les héroïnes de comics.
De quoi faire d’elles des sorcières à part entière ? La question demeure. Car si l’approche transversale adoptée par Stélandre se révèle souvent stimulante, son principal outil d’analyse est parfois laissé de côté. Le chapitre consacré à McGowan prend ainsi le parti de se focaliser sur les récentes prises de position de l’actrice au détriment d’une étude de ses personnages (en quoi la sœur sorcière de la série Charmed se distingue-t-elle de ses homologues du petit et du grand écran ?). On s’étonne aussi de l’absence de certaines actrices dont la persona est pourtant indissociable de la sorcière et plus généralement du genre gothique (Anjelica Huston, notamment).
Ces remarques ne doivent pourtant pas faire perdre de vue l’ intérêt de cet ouvrage qui à travers son style fluide et direct permet de mieux saisir le pouvoir de fascination exercé par cette féminité chorale brisant les lignes pour mieux reconstruire l’idée du pouvoir.
- ACTRICES-SORCIÈRES
- Auteur : Thomas Stélandre
- Éditions : Capricci
- Date de parution : 20 janvier 2022
- Langues : Français uniquement
- Format : 168 pages
- Tarifs : 17 € (print) – 8,99 € (numérique)