Résumé : Durant la période 1870-1910, des femmes règnent sur les scènes européennes. Elles se nomment Sarah Bernhardt, Eleonora Duse, Polina Strepetova, Maria Savina, Maria Ermolova, Vera Komissarjevskaïa. La dimension mythique qu’elles acquièrent entre en dialogue avec l’affirmation, dans les textes dramatiques européens, d’un mythe de l’actrice. A travers ces actrices vues sur les scènes, starifiées par la presse, rêvées par la littérature et par le cinéma, la culture occidentale d’hier et d’aujourd’hui projette et interroge ses représentations de l’individu, de l’autre, du désir, mais également de la place de la femme dans l’espace public. Les chapitres de cet ouvrage, rédigés par des spécialistes russes, italiennes, françaises, américaines, sont présentés tantôt en français, tantôt en anglais.
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Si les noms de Sarah Bernhardt ou d’Eleonara Duse continuent d’alimenter les fantasmes d’une Histoire théâtrale située à la croisée des siècles, le présent ouvrage collectif dirigé par Yannick Hoffert, Maître de conférences en théâtre et littérature française du XXe siècle et Études culturelles à l’Université de Lorraine, et Lucie Kempf, Maîtresse de conférences en langue et littérature russes à l’Université de Lorraine, permet de recontextualiser le mythe de la diva à la lumière d’une judicieuse inversion terminologique. Autant que le patronyme de ces actrices mythiques (auxquels s’ajoutent ceux de Vera Komissarjevskaïa, Polina Strepetova, Maria Savina, ou Maria Ermolova), c’est le mythe de l’actrice qui intéresse les différents auteurs de l’ouvrage. En choisissant de diviser sa structure en deux sections géographiques correspondant à l’Est (la Russie) et à l’Ouest (l’Europe occidentale et les États-Unis), l’étude souligne d’abord les disparités qui atteignent l’homogénéité apparente de cette constellation de figures. Car si l’éclat de leur popularité passée reste (presque) intacte, leurs stratégies étaient bel et bien différentes. Le passage vers le XXe siècle transforme en effet durablement le monde de la scène avec la montée en puissance du metteur en scène et l’émergence de nouveaux médiums, le cinéma en particulier. Marie-Christine Autant-Mathieu analyse ainsi l’apport et les rapports contrôlés du féminin au sein du Théâtre d’Art de Moscou dirigé par Stanislavski qui inspirera les futures troupes et écoles d’arts dramatiques nord-américaines parmi lesquelles l’Actors Studio.
L’annonce de la fin de l’époque dominée par le mythe de la vedette doit alors être relativisée. Ce dernier survit malgré tout à travers l’écriture romanesque de Tchekhov dont une relecture de La Mouette proposée par Lucie Kempf prouve la porosité des liens établis entre la réalité et la fiction. Elena Mazzoleni analyse finement de son côté la singularité du jeu de la Duse qui influencera l’enseignement de Lee Strasberg et permet de décrypter le style de Mimi Aguglia, actrice de cinéma aujourd’hui oubliée mais dont on prend ici conscience de la nécessaire réhabilitation.
L’intérêt historique de l’ouvrage se retrouve encore à travers sa constante volonté de décrypter l’arrière-plan historique de cette période charnière marquée par une problématisation féconde de la condition féminine. Si l’on peut regretter que les contributions anglo-saxonnes n’aient pas bénéficié d’une traduction, on reste malgré tout convaincu par la portée théorique de l’ouvrage qui propose, en outre, une bibliographie complète dont les sections correspondent aux principales figures évoquées.
- ACTRICES MYTHIQUES, MYTHE DE L’ACTRICE SUR LES SCÈNES OCCIDENTALES (1870-1910)
- Auteurs : Yannick Hoffert et Lucie Kempf (sous la direction de)
- Éditions : PUN-Éditions – Presses Universitaires de Lorraine
- Date de parution : 15 octobre 2020
- Langues : Français uniquement (présence d’articles en anglais)
- Format : 148 pages
- Tarifs : 14 € (disponible à la commande en ligne sur Le Comptoir des presses d’universitaires)