Synopsis : Un cadre d’entreprise, sa femme, sa famille, au moment où les choix professionnels de l’un font basculer la vie de tous. Philippe Lemesle et sa femme se séparent, un amour abimé par la pression du travail. Cadre performant dans un groupe industriel, Philippe ne sait plus répondre aux injonctions incohérentes de sa direction. On le voulait hier dirigeant, on le veut aujourd’hui exécutant. Il est à l’instant où il lui faut décider du sens de sa vie.
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On aurait tort de considérer Un autre monde comme le simple contre-champ de En guerre (2018), le précédent long métrage de Stéphane Brizé. Il est plutôt ici affaire de prolongement, voire de variation. Au cœur du dispositif du réalisateur, la parole qui se dépense au point d’oublier son sens. Pour Philippe Lemsle (Vincent Lindon), comme pour nombre de cadres supérieurs (et inférieurs), le mal du siècle a un nom : la réunionite. Du divorce où le dialogue entre les ex-époux est d’abord affaire d’accords, de désaccords, de marchandage et d’oppositions, aux incessantes réunions de la société Elsonn qui voient les interlocuteurs user et abuser d’une taxinomie faite de lieux communs, le personnage ne fait que parler, s’épuise dans les mots d’un langage qui a perdu sa boussole. Brizé reprend sa méthode habituelle, s’employant à briser les frontières entre le documentaire et la fiction. Proposant à de acteurs non professionnels de réinvestir leur propre rôle, le cinéaste propose une thérapie sociale qui réussit par la justesse des gestes et des comportements que capture sa caméra. Tout respire le réel jusqu’à l’asphyxie qui soudain nous submerge. La fiction, alors, se présente comme une bouée salutaire dans le naufrage humain que constitue cet Autre monde. L’histoire renvoie à l’intime, à cet espace que Philippe voit progressivement investi de ses propres obsessions. C’est Lucas, son fils, qui en subit le premier les répercussions.
Le burn-out refusé par le père prend d’assaut l’esprit de l’adolescent, emporté par le rythme d’une machine dont il ne maîtrise pas les mécanismes. C’est que l’univers des décideurs dépasse les portes du groupe financier, tout comme le malheur des ouvriers ne s’arrête pas à la sortie de l’usine. La maladie sociale est d’abord une tragédie humaine nous rappelle Brizé dont le cinéma ne cesse de se rapprocher de celui de Ken Loach tout en construisant un sillon qui lui est propre. Son originalité est en partie tributaire de ses acteurs et en particulier de Vincent Lindon.
Faisant siens la démarche, les gestes et les expressions qui façonnent le statut social de son personnage, l’acteur enrichit celui-ci de moments de pause. C’est alors le regard qui s’impose dans le cadre. Presque éteint, celui-ci paraît toujours prêt à tomber dans le précipice. Et c’est justement à travers cet enjeu que la chronique sociale devient dramaturgique. Emporté dans la course folle d’un univers aussi morcelé que cohérent, le personnage évite de se prendre les pieds dans le tapis. La chute, pourtant, serait pour lui comme pour nous salutaire.
- UN AUTRE MONDE
- Sortie salles : depuis le 16 février 2022
- Réalisation : Stéphane Brizé
- Avec : Vincent Lindon, Sandrine Kiberlain, Anthony Bajon, Marie Drucker, Guillaume Draux, Joyce Bibring, Christophe Rossignon
- Scénario : Stéphane Brizé et Olivier Gorce
- Production : Philip Boëffard et Christophe Rossignon
- Photographie : Éric Dumont
- Montage : Anne Klotz
- Musique : Camille Rocailleux
- Décors : Pascal Le Guellec
- Costumes : Isabelle Pannetier
- Distribution : Diaphana
- Durée : 96 minutes