Résumé : Bi Gan, Diao Yinan, Jia Zhang-ke… La nouvelle génération de cinéastes chinois forge des œuvres mutantes. Animés par des interrogations sociales, bouleversés par l’avènement du numérique et les possibilités offertes par la technologie, ils proposent des films aux confluents du réel et de l’imaginaire. Le Réalisme magique du cinéma chinois propose de définir l’essence de cette nouvelle vague. En marge de blockbusters nationaux standardisés, lissant en cela la production à grand budget d’Est en Ouest, la nouvelle garde du cinéma d’auteur chinois réinvente en mode lo-fi un plaisir cinéphile inestimable : croire à l’incroyable.
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Éclectique en apparence, le cinéma d’auteur chinois contemporain peut aisément dérouter le spectateur occidental qui souhaiterait lui apposer un balisage historique traditionnel. Car si les affinités entretenues par les filmographies de Jia Zhang-ke, Jiang Wen, Bi Gan, Zhao Liang ou Wang Xiaoshuai se ressentent aisément, il demeure difficile de les distinguer avec exactitude sans passer par une étude symbolique qui prendrait le risque du contre-sens culturel. C’est en toute conscience de ce risque que Hendy Bicaise, critique de cinéma et cofondateur du site Accreds.fr, choisit d’aborder ce sujet. Dès son introduction, l’auteur met en perspective la complexité historique de cette cinématographie, résumant la périodisation du cinéma chinois tout en mettant en évidence le caractère hybride qui rassemble les réalisateurs et films convoqués au cours de son étude. Empruntant la notion de « Réalisme magique » forgée dans les années 1920 par le critique d’art allemand Franz Roh pour décrire l’apparition d’un nouveau courant pictural empruntant à la fois à l’impressionnisme et l’expressionnisme, Bicaise remarque que cette appellation connut un long héritage migratoire la voyant traverser l’Atlantique pour se retrouver au sein de la littérature sud-américaine ou la peinture de l’Amérique du nord. Avec intelligence, l’auteur s’emploie alors à reconceptualiser les tenants de cette notion pour étudier ses nouveaux aboutissants. Ce que retient principalement Bicaise du « Réalisme magique » est la question d’un croisement qui prendrait la forme d’une apparition irréelle au sein d’une représentation principalement marquée par son réalisme. Ainsi de l’édification soudaine d’un immeuble au détour d’un plan de Still Life (Jia Zhang-ke, 2006) ou de la projection inattendue d’un train sur un pan de mur dans Kaili Blues (Bi Gan, 2015). S’affirme ici une volonté d’irréaliser le monde pour mieux comprendre son sens souterrain dans un élan tout à la fois critique et poétique.
La part métaphorique joue évidement un rôle essentiel dans ces constructions imaginaires. Ainsi de l’animalité qui sous la forme de chevaux courant en liberté, la nage d’un poisson ou la représentation d’une créature simiesque se prête à des interprétations parfois opposées (de la liberté à la violence, de l’humanité à la bestialité) mais qui s’accordent sur la possibilité de réfléchir le réel à la lumière de figurations différentes. D’où la nécessité de réenchanter le monde contemporain sans tomber dans le discours réactionnaire de la nostalgie. La mémoire des drames se consolide à travers un chancellement constant de l’architecture (Jia Zhang-ke) ou la mise en évidence des coutures de création d’un passé fantasmatique (Séjour dans les monts Fuchun [Gu Xiaogang, 2019]).
L’hybridation correspond autant à l’idée d’une rencontre qu’à celle d’un basculement qui prend littéralement forme à travers des altérations chromatiques et une réflexion accrue sur la nature de l’image cinématographique. Apparaît ici l’une des grandes forces de cet ouvrage qui, tout en s’appuyant sur la culture chinoise pour décrypter les films, se propose d’analyser en détail les caractéristiques de mise en scène de son corpus. Même lorsque Bicaise se focalise sur des grandes thématiques dramaturgiques (la figure de la femme, la question de l’argent, la modification de l’environnement), ses commentaires prennent soin d’accorder une place importante aux questions de forme.
Sans jamais se départir de son souci de synthèse, l’ouvrage se propose comme une étude de fond éminemment intéressante pour qui chercherait à mieux comprendre l’originalité de ce cinéma moins lointain qu’il n’y paraît de prime abord.
- LE RÉALISME MAGIQUE DU CINÉMA CHINOIS
- Auteur : Hendy Bicaise
- Édition : Playlist Society
- Date de parution : 21 avril 2022
- Langues : Français uniquement
- Format : 136 pages
- Tarifs : 14 € (print) – 7 € (numérique)