Résumé : Paul Vecchiali se livre, minutieux, admirable, incisif page après page. Il conte une vie au petit bonheur la chance, malheur compris. Or un cinéaste d’une telle trempe sait que pour que le hasard lui soit favorable, il ne faut justement rien laisser au hasard. C’est peut-être pour cela qu’il a toujours tout préparé, conscient de ses contraintes comme de sa liberté, pour que naisse un film. L’art de vivre qu’il nous conte ici et dans ses films est tissé de ça, de l’univers qu’on se fabrique, et de la vie. Monde de cinéma, d’amitiés, d’associés, de camarades, d’invention de soi. Vie de travail acharné Puisque le travail est la joie. Un milieu peuplé de femmes et d’amants, véritable autofiction. Le cinéma qui en recueille la fantaisie ou la noirceur est un art réaliste. Il est un conteur paradoxal, Des autres avant lui-même.
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Deux tomes et plus de mille pages, il n’en fallait pas moins pour que Paul Vecchiali raconte son histoire à sa manière. Car comme toutes les autobiographies dignes de ce nom, le présent écrit rappelle que les souvenirs sont faits de la même matière que les rêves. De fait, Vecchiali fait remonter son récit quelques décennies avant sa naissance comme pour rappeler que nos existences sont d’abord tributaires des individus et des siècles qui nous ont précédés. Le récit d’une projection du Voyage dans la lune de Méliès devient ainsi un joli prétexte à un débat sur les propriétés du cinéma qui, entre appel de l’illusion et combat pour la réalité, informe sur les goûts et l’approche à venir du réalisateur de L’Étrangleur (1970), Trous de mémoire (1985), Zone Franc(h)e (1996), ou le récent Pas…de quartier (2022).
Vecchiali fantasme, invente, mais n’oublie pas. De son écriture rejaillit cette force brute qui anime son cinéma. Ne faisant l’impasse ni sur ses inimités, ni sur ses égarements, ses regrets ou ses réussites, le cinéaste dresse le portrait de ses contemporains francophones à coups de brosse. Cette énergie n’oublie pas le sens du détail. La qualité des dialogues échangés avec Jean-Luc Godard et François Truffaut fait écho à la description minutieuse des sensations éprouvées par le jeune Vecchiali. On rappellera alors l’importance tenue par le désir tout au long de sa carrière. En tant que critique, historien (on lui doit en 2010, la parution de L’Encinéclopédie, vaste retour exhaustif sur les filmographies des réalisateurs français des années 1930), spectateur ou artiste, Vecchiali adore ou déteste.
Point de tempérance donc mais une humilité suffisante pour revenir sur la propre qualité de ses films et dénicher dans les traits de caractère les plus détestables la présence potentielle de certains coups de génie qui prendront forme, ou non, au gré de l’Histoire du cinéma. Le tempérament de ce natif de l’île de Beauté se retrouve aussi à travers son analyse de certains enjeux sociétaux que la caméra lui permit d’appréhender, toujours à sa manière. Les mouvements de Mai 68 ou les débats entourant la peine de mort, réapparaissent au cours de ces pages à travers une intensité inchangée. Façon pour Vecchiali d’interroger notre propre rapport à l’actualité et d’affirmer que l’indignation se doit d’être revendiquée.
Cette fièvre marque aussi la méthode du réalisateur qui raconte ici le rythme effréné de tournages dont la simultanéité oblige à l’inventivité mais jamais à la relativité. Car la qualité de Vecchiali est de se refuser à suivre une certaine tendance, actuelle et passée, de la critique louant sans modération les maîtres consacrés tout en oubliant les productions injustement minorées. En allouant une place de choix à ses collaborateurs de création et en décrivant l’importance de la communication dans le processus de création du film, Vecchiali insiste sur l’énergie collective nécessaire à toute entreprise cinématographique. Une ouverture à l’autre qui détermine en définitive la nature de cet écrit qui valorise les capacités de conteur du cinéaste et nous rappelle en quoi la mémoire n’a de mérite que lorsqu’elle est partagée.
- LE CINÉMA FRANÇAIS. ÉMOIS ET MOI (T. I et II)
- Auteur : Paul Vecchiali
- Éditions : Libre & Solidaire
- Langue : Français uniquement
- Date de parution : 12 mai 2022
- Format : 776 pages et 472 pages
- Tarifs : 30 € (print) – 35 € (print)