Synopsis : Alain et Marie emménagent dans un pavillon. Une trappe située dans la cave va bouleverser leur existence.
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Du titre du nouveau film de Quentin Dupieux, il faut surtout retenir le « mais vrai », qui annonce le rapport au réel le plus marqué de sa filmographie. À l’exception d’un élément de fantastique que l’on ne dévoilera pas ici, et d’un fait de science-fiction quasiment crédible, le contexte est en fait particulièrement banal. Après le générique se succèdent trois séquences : Alain (Alain Chabat) travaillant dans une boite d’assurance, puis Alain et sa femme (Léa Drucker) visitant une maison en compagnie d’un agent immobilier, et enfin Alain et Marie, nouvellement installés, invitant deux amis (Anaïs Demoustier et Benoît Magimel) pour un diner aux airs de pendaison de crémaillère. Le quotidien est donc ici partagé entre logement et boulot, au sein desquels il s’agit de distiller à chaque fois une unique perturbation extraordinaire, au sens littéral du terme, et d’en regarder les conséquences. Ce contexte banal amène Dupieux à mettre en exergue, par l’absurde, des grands sujets de la modernité. Ainsi le conduit enchanté de la maison est-il la cause d’une quête mortifère de la féminité perdue de Marie, tandis que Gérard, le patron d’Alain, emploie la technologie comme compensation d’une masculinité fragile. Alain navigue donc du bureau au domicile, déboussolé mais conciliant (« amorphe » dit-on dans le film), observant l’exacerbation des obsessions genrées de son entourage. En s’attachant à des caricatures stéréotypées (Marie analyse régulièrement ses rides dans le miroir, Gérard est passionné d’automobile et d’armes à feu), le film courrait le risque de se laisser absorber par une forme humoristique classique, faite d’exagérations et de décalages.
Or, Incroyable mais vrai emploie sa mise en scène comme un détachement du comique. Plus que drôle, le film est perturbant, bizarre. D’une bizarrerie fascinante, presque tragique, celle des engins hors de prix qui s’enflamment et des invasions de fourmis. Lorsque, dans ses dernières minutes, il coupe court à tout dialogue et propose de série de courtes scènes muettes, l’humour côtoie une détresse faustienne inattendue dans la carrière du cinéaste. Loin du délire surréaliste de ses créations américaines, la drôle de fatalité de ce film a de quoi étonner, notamment par la clarté de ses allégories.
Ce serait mentir que d’accréditer la critique de nos sociétés faite par Dupieux d’une quelconque finesse. Son talent réside dans le parasitage des canons humoristiques par des cadres fixes, distants, un rythme légèrement déphasé, des couleurs laiteuses. Il y a quelque chose qui ne va pas, pense-t-on dès les premières minutes. C’est qu’en réalité, les gags mettent du temps à réellement se manifester, et ils ne dominent jamais totalement le film. Au démarrage se construit un enchaînement d’effets d’annonces sans cesse différés, qui maintiennent le doute quant aux enjeux qui porteront l’intrigue. Un montage alterné sur différentes temporalité va jusqu’à engendrer une courte perte de repère, annonçant les effets surnaturels de la maison.
Ces mêmes effets seront d’ailleurs volontairement sous-exploités, employés rigoureusement dans leur utilité première alors qu’une multitude d’autres possibilités étaient offertes par le dispositif. Dans la même veine, si Incroyable mais vrai est envahi de références à la séduction et la sexualité, il est comme toujours chez Dupieux totalement dénué d’érotisme. C’est la forme désincarnée de ces vies bien rangées, coincées dans des quartiers résidentiels fades, où ne permettent de tenir que des discours chimériques sur des passions imaginaires. Tout ça semble être voué à disparaître : par dysfonctionnement mécanique pour les uns, organique pour les autres. De toute façon, pour citer Gérard, se reproduire serait un « malheur ».
Joffrey Liagre
- INCROYABLE MAIS VRAI
- Sortie salles : 15 juin 2022
- Réalisation et Scénario : Quentin Dupieux
- Avec : Alain Chabat, Léa Drucker, Benoît Magimel, Anaïs Demoustier, Stéphane Pezerat, Roxane Arnal, Grégoire Bonnet, Mikaël Halimi, Lena Lapres, Nagisa Morimoto…
- Production :Â Thomas Verhaeghe
- Photographie :Â Quentin Dupieux
- Montage :Â Quentin Dupieux
- Décors : Joan Le Boru
- Costumes : Isabelle Pannetier
- Musique :Â Jon Santo
- Distribution :Â Diaphana
- Durée : 1 h 14