Synopsis : Jean-Gab et Manu, deux amis simples d’esprit, trouvent une mouche géante coincée dans le coffre d’une voiture et se mettent en tête de la dresser pour gagner de l’argent avec.
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Profitant enfin d’une sortie sur grand écran à la faveur de la réouverture des lieux culturels, Mandibules marque à la fois le prolongement du geste comique de Quentin Dupieux et son possible point de non-retour. Comme à son habitude, le cinéaste situe son film à la frontière d’un esprit franchouillard, principalement incarné par la gouaille de ses acteurs, et d’un imaginaire américain, véhiculé en premier lieu par la nature des décors et la place importante accordée au plan large dans leur caractérisation. Cette hybridité spatiale se présente comme l’arrière-plan à partir duquel le cinéaste travaille la matière première de son œuvre : l’esprit du nonsense qui détermine la nature aléatoire du récit et le dispersement joyeusement anarchique de ses lignes d’action. L’esprit absurde ne cesse de flirter avec l’étrange partant d’un élément indiciel pour emporter avec lui toute la logique des situations et de leur articulation. C’est ici l’apparition fortuite d’une mouche géante qui enclenche la frénétique cavalcade des deux héros subissant plus qu’ils ne provoquent l’égarement du rationnel. Il faut reconnaître à Dupieux son sens du rythme. En choisissant de condenser la durée de son drame, le réalisateur français assure l’emprise de la fiction tout en entretenant de façon forte habile l’efficience de ses temps morts.
Sans en avoir l’air, la mécanique fonctionne à plein régime et l’étonnement apparaît moins comme un objectif ou un résultat que comme l’une des dynamiques essentielles du récit. Malheureusement, le film peine à échapper totalement à l’écueil de la répétition. Certains y verront un choix délibéré, mais l’impression générale ressentie à la vision de ce seul film a du mal à justifier cette lecture. Les cadrages fixes de Dupieux, sa façon d’utiliser la profondeur de champ, son découpage épuré rappellent souvent le style de Kervern et Delépine (notamment dans I Feel Good [2018] et l’excellent Effacer l’historique [2020]).
Mais la différence essentielle réside dans l’empathie que ces derniers entretiennent pour leurs personnages, le caractère satyrique de leur cinéma accueillant une part d’humanisme qui légitime leur référence au burlesque. Dupieux, de son côté, a tendance à transformer le gag visuel en un sketch. La faute sans doute à son choix de casting, le tandem Grégoire Ludig-David Marsais proposant un registre limité qui peine à convaincre au-delà du format de la saynète.
Là où les frères Coen sont toujours parvenus à faire de la figure de l’idiot un moyen de mettre en cause, ou tout du moins d’interroger, l’importance que l’on porte aux apparences, Dupieux, lui, fait de celles-ci l’alpha et l’oméga de son film. Ses personnages font rire sur le coup mais dépassent rarement l’éclat fugace de l’instant. La mouche reste quant à elle dans un coin du plan là où on aurait souhaité la voir investir pleinement le cadre pour en discuter les fondements.
Il faut néanmoins se réjouir de voir le cinéma français accueillir cette tentative qui appelle une nécessaire évolution. Rendez-vous en 2022 donc pour la sortie de Incroyable mais vrai qui devrait nous dire si Dupieux se montre capable de renouveler son approche pour mieux revenir à l’audace de ses premières productions.
- MANDIBULES
- Ressortie en salles : 19 mai 2021
- Réalisation et Scénario : Quentin Dupieux
- Avec : Grégoire Ludig, David Marsais, Adèle Exarchopoulos, India Hair, Roméo Elvis, Coralie Russier, Dave Chapman, Bruno Lochet, Marius Colucci, Thomas Blanchard, Raphaël Quenard
- Producteurs : Hugo Sélignac, Vincent Mazel
- Photographie : Quentin Dupieux
- Montage : Quentin Dupieux
- Musique : Metronomy
- Distribution : Memento
- Durée : 77 minutes