Synopsis : Georges, 44 ans, sans emploi et sans partenaire, se prend de passion pour le blouson en daim qu’il vient d’acheter.
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Un an après Au Poste !, l’inclassable Quentin Dupieux change de registre et revient avec Le Daim, présenté en ouverture de la Quinzaine. Le réalisateur de Rubber et Réalité manie avec toujours autant de plaisir l’absurde et l’humour noir, singulier mélange dont il a le secret, mais propose cette fois un personnage dont l’obsession pour un étrange blouson à franges va se révéler menaçante. Dupieux fait d’un habit apparemment banal l’élément central de son film : c’est un Jean Dujardin au bout du rouleau que l’on retrouve sous l’emprise d’un blouson marron taupe. Georges, en pleine crise de la quarantaine, est en fuite. Il roule sans but avant de répondre à la petite annonce d’un vieillard qui vend sa veste vintage 100% daim. Il lui achète une fortune. Dès lors, Georges ne quitte plus ce vêtement et le laisse même lui suggérer de commettre des actes terribles.. Dujardin est à son aise dans ce rôle d’inculte-misogyne-narcissique possédé, accompagné par Adèle Haenel (120 Battements par minute, La Fille inconnue) – célèbre pour son regard qui transperce et ses mots qui scotchent –, incarnant Denise, une monteuse/serveuse cinéphile et loufoque dont la normalité apparente dissimule ses failles. Il en faut peu à Quentin Dupieux pour caractériser les protagonistes cinglés de cette « nouvelle » cauchemardesque, déroutante, anachronique et surréaliste, qui joue au passage avec les codes du western (l’arrivée d’un nouveau venu dans le village) et du slasher (les meurtres à répétition). En fuite, Georges s’invente une nouvelle vie, se retire dans un hôtel vieillot et désert dans la vallée d’Aspe puis échafaude un plan sanguinaire.
La comédie noire et délirante vire alors au thriller improbable. Le malaise s’installe. Il est vrai que le cinéaste a conçu le blouson comme un personnage à part entière dont l’influence pernicieuse exacerbe les pulsions saugrenues de son propriétaire à tendance sociopathe. Georges et sa panoplie deviennent donc partners in crime. Malgré le déploiement d’une mise en scène réaliste, « au premier degré », et une photographie en symbiose avec le sujet, l’atmosphère pesante stagne, le flou prend racine, les décors austères se succèdent, les dialogues tournent en rond. Aussi, chaque tension se solde par une perte d’intensité dramatique.
Ceux qui goûtent peu au cosmos déluré de Dupieux resteront sans doute de marbre face au scénario minimaliste, farfelu, sans queue ni tête du Daim. Les autres y verront probablement une courte comédie existentielle expérimentale (d’une petite heure et quart) rythmée et très construite. Car ici, faut-il le préciser, Quentin Dupieux reste fidèle à la logique absurde qui lui est propre : il filme avant tout la folie, se confronte à un personnage qui, dans la peau de l’animal, déraille et raconte une obsession pure et buzzatienne, en ne lui donnant aucune explication. Ce constat acerbe sur la solitude est agrémenté d’un humour corrosif, appuyé par un comique de répétition ainsi qu’une mise en abyme quasi-constante, parabole du désir primitif du cinéaste. Mais Le Daim, dépassé par son armature et ses airs d’objet cinématographique radicalement singulier, s’avère surtout anecdotique voire superficiel. Pourtant, ubuesque, énigmatique et inquiétant à la fois.
- LE DAIM
- Sortie : 19 juin 2019
- Réalisation : Quentin Dupieux
- Avec : Jean Dujardin, Adèle Haenel, Albert Delpy, Pierre Gommé, Coralie Russier, Stéphane Jobert, Laurent Nicolas, Marie Bunuel…
- Scénario : Quentin Dupieux
- Production : Thomas et Mathieu Verhaeghe
- Photographie : Quentin Dupieux
- Montage : Quentin Dupieux
- Décors : Joan Le Boru
- Costumes : Isabelle Pannetier
- Musique : Martin Caraux
- Distribution : Diaphana Distribution
- Durée : 1h17