Synopsis : Dans le futur, les écosystèmes se sont effondrés. Parmi les survivants, quelques privilégiés se sont retranchés dans des citadelles coupées du monde, tandis que les autres tentent de subsister dans une nature devenue hostile à l’homme. Vivant dans les bois avec son père, la jeune Vesper rêve de s’offrir un autre avenir, grâce à ses talents de bio-hackeuse, hautement précieux dans ce monde où plus rien ne pousse. Le jour où un vaisseau en provenance des citadelles s’écrase avec à son bord une mystérieuse passagère, elle se dit que le destin frappe enfin à sa porte…
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Au premier coup d’œil, l’univers de Vesper Chronicles semble s’inscrire dans la lignée d’une certaine science-fiction particulièrement normée : les écosystèmes sont détruits, et les riches habitent des paradis technologiques tandis que les pauvres, revenus à un niveau de vie moyenâgeux, peinent à se nourrir. Ce modèle social permet souvent d’inclure à peu de frais l’écologie et la lutte des classes, en tant que postulats de départ faussement conscients d’histoires qui n’ont majoritairement rien de pertinent à développer sur le sujet. Ici pourtant, le dérèglement des écosystèmes n’est pas qu’une simple toile de fond, mais le cœur de la démarche de Kristina Buozyte et Bruno Samper. Deux idées fondent le film : les graines sont rendues stériles après leur première récolte, ce qui force une relation de soumission aux fournisseurs (une innovation par ailleurs déjà brevetée sous le nom « Terminator » dans notre réalité), et la technologie s’est mêlée aux organismes vivants au point de faire muter une grande partie de la nature. Les expérimentations visuelles de Vesper viennent ainsi de ces organismes génétiquement modifiés, qui rappellent par moment les inventions visqueuses d’Existenz de David Cronenberg. Durant les premières scènes, l’héroïne se promène silencieusement à travers ces grandes étendues ravagées, permettant un tour d’horizon de l’environnement : excroissances gluantes accrochées aux arbres, armée de vers de terre défendant la maison, ou souterrains envahis de plantes inquiétantes.
Puisque Vesper est une scientifique talentueuse, le film partage son intérêt pour la nature. Pendant la visite de sa serre, des gros plans permettant d’observer de plus près ses créations, et sa table d’expérience rapproche le microscope futuriste d’une toile où les cellules apparaissent comme autant de tâches colorées. Des pansements au drone utilisé par son père, la direction artistique maintient le cap d’une fusion entre créations humaines et matière organique.
L’inspiration de ces éléments botaniques, ainsi que leur importance dans la narration (l’affrontement final joue sur le danger de plantes meurtrières) impressionne d’autant plus que l’on devine aisément le faible budget du projet. Vesper Chronicles se déroule exclusivement entre quatre lieux : la maison de l’héroïne, la grotte qui lui sert de laboratoire, le village de son oncle et la forêt. Malgré la répétition de ces décors et leur apparente simplicité, le film se renouvelle par la rupture des rapports que les personnages entretiennent avec les différents endroits.
Le territoire de Darius est d’abord le lieu d’une mise à mort, un refuge partiellement accueillant, puis un terrain hostile où il faut s’infiltrer. La maison de Vesper est prise d’assaut par une substance orangée, réinventant l’espace le temps d’une scène de tension. Quant à la forêt, elle accueille des explorations comme des affrontements. Narrativement, cela s’accorde à la remise en question constante des enjeux : l’objectif de Vesper ne cesse de se redéfinir, notamment à cause du mélange de crainte et de fascination qui la lie à la Citadelle.
Cette force visuelle consistant à tirer le maximum d’une simplicité apparente se retrouve aussi dans l’allure de ses personnages. Les gardiens de la Citadelle ressemblent à des versions alternatives de Dark Vador (ils partagent même cette respiration bruyante et anxiogène), tandis que les pèlerins fascinent par leurs robes amples et mystérieuses. Le film laisse planer sur son monde le sentiment d’un gigantisme inexploré, notamment via ses carcasses métalliques et tentaculaires dont l’origine n’est pas évoquée. Plutôt qu’une contrainte, le manque de moyen sert donc de terreau fertile ouvert aux interprétations et finit par se faire oublier, grâce à l’inventivité de cet univers sublimé par la bande-son de Dan Levy.
Joffrey Liagre
- VESPER CHRONICLES
- Sortie salles : 17 août 2022
- Réalisation : Kristina Buozyte et Bruno Samper
- Avec : Raffiella Chapman, Eddie Marsan, Rosy McEwen, Richard Brake, Melanie Gaydos, Edmund Dehn, Matvej Buravkov, Marijus Demiskis, Markas Eimontas, Titas Rukas
- Scénario : Kristina Buozyte, Bruno Samper, Brian Clark
- Production : Daiva Jovaisiene, Asta Likaityte, Alexis Perrin
- Photographie : Feliksas Abrukauskas
- Montage : Suzanne Fenn, Justin McKenzie Peers
- Décors : Rokas Laukevicius, Justas Stockus, Jurgis Virbasius
- Costumes : Dovile Cibulskaite, Christophe Pidre, Florence Scholtes
- Musique : Dan Levy
- Distribution : Condor Films
- Durée : 1 h 52