Synopsis : France est à la fois le portrait d’une femme, journaliste à la télévision, d’un pays, le nôtre, et d’un système, celui des médias.
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Deux fois lauréat du Grand prix du jury à Cannes, et d’une mention spéciale du jury pour Jeanne, dans la sélection Un certain regard 2019, Bruno Dumont est un habitué du festival. C’est donc tout naturellement que sa dernière réalisation, France, y a été présentée en exclusivité en compétition officielle. Un film qui prend le parti de raconter l’envers du décor de la télévision française, du système journalistique et médiatique et de sa relation d’amour-haine avec ses spectateurs. Le film s’ouvre sur une scène plutôt amusante à l’Élysée, où Bruno Dumont a eu l’autorisation exceptionnelle de tourner. Dans le rôle de France de Meurs, journaliste star, Léa Seydoux entame une conférence de presse avec une question plutôt incisive à Emmanuel Macron, qui livre ici peut-être sa performance la plus convaincante dans son propre rôle. Le ton du film est donné : Dumont veut verser dans la satire la plus acide, pour mettre en scène une journaliste icône de la télévision, déconnectée de la réalité des sujets qu’elle aborde à l’antenne. Un discours ancré dans le climat politique, sociétal et médiatique que la France connaît depuis l’émergence des Gilets Jaunes, en 2019. On a droit à plusieurs scènes de plateaux télé où les ennemis jurés à l’écran deviennent amis de toujours et partent boire un verre en compagnie de la journaliste. Le film met aussi en scène un festival de courtisanerie de la part de l’assistante de France, incarnée par une Blanche Gardin, qui n’a que « Waow ! Génial ! » à la bouche. Le tout pour caractériser à quel point le personnage de France vit en cercle fermé, dans son milieu de riches, avec ses tenues de haute couture et son appartement parisien si grand qu’on croirait voir le manoir de Tony Montana.
Certes, on voit dans ce portrait la caricature régulièrement faite des stars de l’information en France. Peut-être même trop régulièrement pour être encore pertinente aujourd’hui. Bruno Dumont, l’habitué des drames qui ne s’est essayé à la comédie qu’avec Ma Loute en 2016, semble avoir encore fort à faire pour sentir ce qui fait l’originalité de la satire du monde politique et médiatique actuel. Il y a en effet de quoi s’interroger sur l’actualité du portrait qui est fait de France des Meurs qui, si elle existait réellement, serait sans doute la dernière journaliste dans l’Hexagone à alterner débats de plateau et reportages auto-centrés sur les terrains de guerre. À l’heure où il est plus souvent reproché aux journalistes français de rester trop en plateau et de ne plus aller sur le terrain, voir Léa Seydoux s’essayer à un journalisme de terrain plus caractéristique des médias anglo-saxons, et d’ailleurs assez apprécié par le grand public, a quelque chose d’assez anachronique.
Au-delà de son propos, le film pêche aussi sévèrement par son montage, qui est d’une lenteur assez marquante. Les champs-contrechamps s’éternisent, les travellings avant sont interminables. On pourrait y voir une façon de sublimer l’émotion des personnages, et en particulier de celui de France, soudainement ébranlée dans toutes ses convictions parce qu’elle a vaguement cogné un scooter avec sa voiture. Mais au final, France se contente de patiner dans ce qu’il essaie de raconter. Il frôle le gênant lorsque les dialogues surréalistes échangés lors des dîners se révèlent plus court que les silences qui les entrecoupent. Le film en devient drôle malgré lui quand les décors qui défilent derrière les vitres des voitures bouclent, révélant le trucage basique de la voiture en studio et sortant complètement de ce qui est échangé par les personnages.
Entre un propos de fond éculé malgré sa pertinence, des personnages caricaturaux mais trop premier degré pour être efficaces dans une comédie, des dialogues d’une banalité affligeante et une réalisation accumulant les erreurs les plus grossières, France ne présente que très peu d’intérêt. Pour une satire plus efficace des médias français, mieux vaudra se concentrer sur le plus intéressant Toute Ressemblance… de Michel Denisot, les DVD des Guignols de l’Info époque Jacques Chirac, ou plus simplement les médias français en question, parfois bien assez efficaces pour se parodier eux-mêmes.
Théotime Roux
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- FRANCE
- Sortie salles : 25 août 2021
- Réalisation et scénario : Bruno Dumont, librement adapté du recueil de manuscrits de Charles Péguy, Par ce demi-clair matin)
- Avec : Léa Seydoux, Blanche Gardin, Benjamin Biolay, Emanuele Arioli, Juliane Köhler, Gaëtan Amiel, Jawad Zemmar, Marc Bettinelli
- Production : Rachid Bouchareb, Jean Bréhat, Muriel Merlin et Dorothe Beinemeier
- Photographie : David Chambille
- Montage : Nicolas Bier
- Décors : Erwan Le Gal
- Costumes : Alexandra Charles
- Musique : Christophe
- Distribution : ARP Sélection
- Durée : 2h14