Synopsis : L’histoire de trois amis proches qui se retrouvent au centre de l’une des intrigues parmi les plus secrètes et choquantes de l’histoire américaine.
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Cela faisait presque sept ans que l’on n’avait pas vu de nouveau film signé David O. Russell. Le réalisateur américain nous avait laissé en janvier 2016 avec Joy, faux biopic de l’inventrice d’un balai-serpillère à succès et vrai film satirique sur le rêve américain. S’il n’a pas perdu son goût pour la relecture de l’histoire ou pour la comédie grinçante, il a en revanche gagné en ambition. Avec Amsterdam, il s’attaque à une reconstitution historique et à un récit choral labyrinthique, mêlant le film d’enquête à la comédie loufoque. Suivant la voie qu’il avait jadis lui-même emprunté avec Les Rois du désert en 1999 (lequel abordait alors la guerre du Golfe avec une bonne dose d’humour caustique), le cinéaste développe ici des personnages totalement imaginaires et décalés autour d’un authentique fait historique (un complot visant à installer une dictature fasciste dans l’Amérique des années 1930). Ce qui lui permet de dresser un portrait de l’Amérique contemporaine. La première chose qui saute aux yeux, c’est le soin minutieux apporté à la reconstitution de cette époque. Déjà collaborateurs de David O. Russell sur American Bluff, J. R. Hawbaker et Judy Becker -respectivement costumier et décoratrice– accomplissent à nouveau un travail impressionnant qui facilite l’immersion. Loin de n’être qu’une plongée réaliste dans l’Amérique de l’entre-deux-guerres, Amsterdam opte plutôt pour un visuel coloré et fantaisiste, qui donne la sensation de plonger dans un univers décalé et plein de vie. Profitant en plus de la très belle lumière d’Emmanuel Lubezki, chef opérateur triplement oscarisé de Terrence Malick et d’Alejandro González Iñárritu, dont c’est la première collaboration avec David O. Russell), le film devient vite un festin visuel savoureux.
Mais si l’on est rapidement happé par son univers et son ambiance, le long-métrage peine à maintenir cet intérêt tout au long de ses deux heures et quart. La faute principalement à une intrigue policière souvent laborieuse et répétitive, dans laquelle on ne ressent presque jamais de tension pour nos trois héros et ce, malgré un Timothy Olyphant plutôt convaincant en homme de main patibulaire, lancé aux trousses du trio. Le déroulé de l’enquête est bien trop dilué et se résume bien souvent à des allers-retours du trio, d’un personnage secondaire à un autre, qui font d’avantage avancer l’intrigue que les personnages. Une certaine lassitude s’installe ainsi dans le dernier tiers du récit, qui n’est pas aidé par les multitudes de thématiques pourtant intéressantes, mais traitées de manière bien trop superficielle.
Charge contre le racisme et le mépris de classe, dénonciation des dangers du totalitarisme et du fascisme, pouvoir des médias, importance de l’art, David O. Russell alourdit son film de messages certes pertinents, mais auxquels il ne consacre pas assez de temps. Il sème par exemple certaines petites séquences où la condition des noirs est pointée du doigt (notamment lors d’un flashback retraçant la première rencontre entre les personnages de Christian Bale et John David Washington, au beau milieu de la Grande guerre), avant de tardivement en faire le centre du film. De fait, ce sujet ne peut qu’être traité en surface.
En dépit de ces errements narratifs, Amsterdam se suit avec un plaisir certain, David O. Russell étant bien plus à l’aise dans le registre de l’humour décalé. Le cinéaste a toujours introduit une forte dose d’ironie à ses histoires, et Amsterdam ne fait pas exception à la règle. Si les dialogues entre les personnages sont soignés, le film exploite l’humour visuel. Il installe ainsi un décalage savoureux entre le verbe et l’image, en utilisant différents gimmicks. Que ce soit un plan sur plan (jumpcut), créant une transition entre l’éloge funèbre d’un mort et son autopsie, ou un arrêt sur image couplé aux cartons de présentation de deux espions, contredisant la couverture sous laquelle ils viennent de se présenter. Le cinéaste maîtrise ces effets à la perfection qui sont d’une efficacité comique presque imparable.
Il apporte aussi un grand soin à la composition de ses cadres en jouant sur l’horizontalité de l’image. Il inscrit ainsi ses personnages dans les vastes décors qui les entourent, tout en les gardant au centre du cadre. Car ce sont bien les personnages qui forment le cÅ“ur du film grâce à son casting cinq étoiles. Il faut dire que le réalisateur a su s’entourer ; chaque rôle ou presque est incarné à l’écran par une star. Christian Bale est aussi drôle que touchant dans la peau de ce docteur abîmé par la vie (au sens propre comme au figuré). Margot Robbie est parfaite dans un rôle malicieux qui s’avère être plus complexe et émouvant.
Et les personnages secondaires le sont tout autant, à l’instar de Taylor Swift, véritable élément déclencheur de l’intrigue dans laquelle elle intervient finalement très peu. Et si certains comédiens sont un peu sous-exploités (Chris Rock en tête), d’autres brillent dans des rôles savoureux, comme Mike Myers, l’interprète d’Austin Powers, incarnant un faux opticien mais vrai espion britannique suave et enjôleur. Même regard pour Anya Taylor-Joy, excellente dans la peau d’un personnage antipathique et assez éloigné de son registre habituel.
Enfin, impossible de conclure sans évoquer la très belle partition du britannique Daniel Pemberton, jusqu’ici assez peu reconnu, malgré une carrière riche de nombreuses collaborations avec certains de ses compatriotes prestigieux, comme Ridley Scott, Danny Boyle ou Guy Ritchie. Le compositeur livre ici une musique classique mais efficace, qui s’articule autour d’un thème principal marquant, nourri d’instruments à vent. Il parvient à retranscrire à la fois la tendresse, l’humour et la profonde nostalgie qui animent le trio de héros.Â
Malgré ses faiblesses scénaristique et son rythme quelque peu ingrat, Amsterdam est un spectacle souvent réjouissant, parfois touchant et visuellement magnifique qui mérite d’être vu sur grand écran.
Timothée Giret
- AMSTERDAM
- Sortie salles : 1er novembre 2022
- Réalisation : David O. Russell
- Avec : Christian Bale, Margot Robbie, John David Washington, Chris Rock, Anya Taylor-Joy, Zoe Saldana, Mike Myers, Michael Shannon, Taylor Swift, Rami Malek, Robert de Niro…
- Scénario : David O. Russell
- Production :Â Christian Bale, Matthew Budman, David O. Russell, Arnon Milchan, Anthony Katagas
- Photographie :Â Emmanuel Lubezki
- Montage :Â Jay Cassidy
- Décors : Judy Becker, Patricia Cuccia
- Costumes : Albert Wolsky et J. R. Hawbaker
- Musique : Daniel Pemberton
- Distribution : The Walt Disney Company France
- Durée : 2 h 14