Synopsis : En pleine représentation, un comédien de la Comédie-Française est assassiné par empoisonnement. Martin, membre de la troupe témoin direct de cet assassinat, est bientôt soupçonné par la police et pourchassé par la mystérieuse organisation qui a commandité le meurtre. Aidé par une dessinatrice de bandes dessinées, Claire, il cherchera à élucider ce mystère au cours d’un voyage très mouvementé en Europe.
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Troisième long-métrage de Nicolas Pariser, Le Parfum Vert est une comédie d’espionnage à l’ironie mordante. On embarque pour un voyage aux influences pointues, d’Alfred Hitchcock aux Aventures de Tintin. Martin, jeune sociétaire de la Comédie-Française, vient d’assister à la mort d’un de ses confrères. Dans un dernier souffle, il chuchote à son oreille le nom d’une organisation secrète à l’origine de sa mort : le “Parfum Vert”. Martin est alors soupçonné et poursuivi. Aux côtés de Claire, autrice de bandes dessinées, il décide de faire éclater la vérité. Nicolas Pariser propose une véritable intrigue contemporaine, dans un Paris actuel, avec un Vincent Lacoste “Monsieur tout le monde”. Lunaire, il multiplie les gags, qui rappellent ses débuts dans Les Beaux Gosses de Riad Sattouf. Ses lunettes de soleil pour cacher son identité, ses chutes à vélo, le brusque souvenir de sa procédure de divorce dresse le portrait d’une sorte de Gaston LaGaffe aussi moderne que maladroit. Il en est de même pour Sandrine Kiberlain qui livre une interprétation si concrète qu’il nous semble la connaître. Claire est une quadragénaire sans enfant et célibataire qui ne perd jamais son sang-froid. Impulsive, elle assume ses émotions et suit ses intuitions. Constamment dérangée par une mère envahissante qu’elle n’hésite pas à bloquer telle une adolescente, elle se fait le relais de notre regard, comprenant bien plus vite que Rémi les tenants et aboutissants de l’enquête. Ce Bonnie et Clyde contemporain semble tout droit sorti d’une bande dessinée. Claire et Rémi développent une relation immédiate et spontanée ; pareils à des adolescents fugitifs, ils se rêvent détectives avec une ingénuité qui rend hommage à la liberté et à l’émerveillement. On prend plaisir à suivre leur périple, mais aussi leurs impasses, qu’ils soient endormis et enlacés ou bien désoeuvrés dans une cuisine.
Comme dans les histoires d’enfants, rien ne semble tenir et l’absurdité est à son comble. Les détails de l’enquête abondent mais ne retiennent finalement pas notre attention. De nombreux policiers compétents sont tués alors que nos deux anti-héros passent entre les gouttes. Tout le film tient à la relation insolite entre les deux personnages, et aux détails décalés qui nous ramène aux bandes dessinées de notre enfance (un portrait laissé dans une poubelle, les personnages secondaires comme “le légionnaire”, “la femme à l’impère”, “le collectionneur”). Ces dénominations ne sont pas anodines puisqu’elles mettent en avant une forme de distance, érigeant ses personnages comme des archétypes des séries policières.
C’est ainsi qu’on prend plaisir à les voir imaginer la suite de l’histoire qu’ils écrivent ensemble avec beaucoup d’humour. Ils commentent les obstacles qui se dressent face à eux, jouent à jouer. Le film ne cesse de donner des indices, comme pour éviter tout suspense, frayeur ou attachement au dénouement. Cette distance crée une véritable mise en valeur des personnages principaux. Claire surprend par sa lucidité et son intelligence, tout comme la commissaire chargée de l’enquête qui se montre charismatique, érudite et engagée. Nicolas Pariser impose des personnages féminins courageux et déterminés qui contrastent parfaitement avec Rémi, affaibli et sujet à d’importantes crises d’angoisse.
On regrette toutefois le côté prévenant attribué à Claire qui soigne et sermonne Rémi à plusieurs reprises. Ainsi que cette amitié homme/femme que Nicolas Parisier décide de transformer en histoire d’amour. On échappe au poncif du preux chevalier qui aurait pu clôturer l’histoire. Les dialogues très quotidiens semblent d’abord dérisoires puis se mettent à créer un décalage avec la dimension tragique de l’enquête. La musique très emphatique surprend en soulignant le suspens factice. Ce parti pris achève de faire du Parfum Vert une tragi-comédie aux allures hitchcockiennes qui fait résonner la vacuité de l’existence.
Nicolas Pariser propose un voyage à travers l’Europe, mais surtout à travers ses influences. Comme si le spectateur avait la possibilité de devenir, lui aussi, un enquêteur de références. Elles sont nombreuses, mais on retient particulièrement la mort de l’acteur sur scène qui rappelle celle de Molière, les deux inspecteurs à la cravate identique tels Dupont et Dupont des Aventures de Tintin. Mais aussi les nombreuses références à la cinématographie d’Hitchcock comme les jumelles qui épient la scène, la tentative d’assassinat pendant le concert (L’homme qui en savait trop), les courses-poursuites, les séquences d’amour dans la couchette du train (La mort aux trousses), l’étranglement avec la cravate (Frenzy).
Malgré la multiplication habile de ses influences, Nicolas Pariser délaisse les possibilités esthétiques qu’aurait pu ouvrir le film. Et c’est là ce qui lui manque. On trouve quelques maigres tentatives pendant le rêve envoûtant de Rémi qui rappelle la dimension onirique de Sueurs Froides ou même de David Lynch (fumée, vue en plongée sur des escaliers en colimaçon, colorisation de l’image) mais sans arriver à déployer tout à fait la proposition visuelle et plastique.
En revanche, la multiplication de ses références provoque une grande nostalgie de l’enfance, et plus largement du cinéma. Cela devient aussi palpable grâce à l’utilisation par touches des couleurs bleu et vert et par l’appel au théâtre comme possibilité de féconder nos imaginaires. Cette nostalgie est aussi celle de l’Europe des années 2000, lorsque l’on croyait encore à cet “espace intellectuel, affectif et politique” que décrit Claire. Nicolas Pariser assume son côté tragi-comédie en choisissant pour œuvre théâtrale l’Illusion comique de Corneille, avec laquelle il signe une scène finale intense avec des propositions cinématographiques audacieuses (travelling, gros plans, jeu d’ombre, colorimétrie…). Il dresse ainsi cette illusion comique comme un levier du dénouement du film. Et pour cause, il s’agit d’une tragi-comédie à la dimension parodique forte qui livre une critique acerbe du sur-jeu des acteur.ices des tragédies de l’époque.
En faisant appel aux références nostalgiques, et à une distance avec le genre policier, Nicolas Pariser livre un Bonnie et Clyde fantaisiste qui nous replonge en enfance. À ce jeu, Sandrine Kiberlain et Vincent Lacoste excellent, révélant toutes les senteurs du Parfum Vert.
Charline Curtelin
- LE PARFUM VERT
- Sortie salles : 21 décembre 2022
- Réalisation : Nicolas Pariser
- Avec : Sandrine Kiberlain, Vincent Lacoste, Rüdiger Vogler, Léonie Simaga, Arieh Worthalter, Jeanna Thiam, Alexandre Steiger, Lucie Gallo, Pascal Reneric, Thomas Chabrol.
- Production : Emmanuel Agneray
- Photographie : Sébastien Buchmann
- Montage : Christel Dewynter
- Décors : Florian Sanson
- Costumes : Nathalie Raoul
- Musique : Benjamin Esdraffo
- distribution : Diaphana
- Durée : 1 h 57