Synopsis : Un ex-soldat israélien a participé à une mission de représailles dans laquelle deux policiers palestiniens ont été tués. Il cherche à obtenir le pardon pour ce qu’il a fait. Sa petite amie ne pense pas que ce soit si simple, elle soulève des questions qu’il n’est pas encore capable d’affronter. Le soldat témoigne volontairement devant la caméra tant que son identité n’est pas dévoilée. Le cinéaste, tout en cherchant la solution adéquate pour préserver l’identité du soldat, interroge sa propre conduite politique et artistique.
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Avi Mograbi est un artiste engagé, membre de l’association Breaking the Silence qui recueille les témoignages des soldats israëliens depuis 2004. Six ans après la sortie au cinéma via Les Films du Losange et présenté à la 65e Mostra de Venise, son documentaire Z32, plus que jamais d’actualité avec le conflit israélo-palestinien qui bat son plein, trouve son chemin en vidéo à partir du 19 août 2014 distribué par Epicentre Films Editions. Cependant, il serait réducteur de limiter cette œuvre à ce simple contexte géopolitique. Comme l’explique Mograbi dans un débat proposé en bonus du DVD, ces circonstances ne sont finalement que des détails ; ce qui est en jeu ici est plutôt le portrait individuel d’un soldat et sa façon d’appréhender ses actes au nom d’un conflit militaire. Comment l’anonyme au centre de cette oeuvre a-t-il pu ressentir de la joie à participer à une opération de représailles durant laquelle il a tué un de ses congénères ? Tenter de comprendre cet ancien soldat, c’est le projet humaniste au cœur de Z32. On est à la fois terrifiés et fascinés à l’écoute du témoignage de ce soldat dont le détachement n’est pas sans rappeler celui des tueurs rencontrés par Werner Herzog dans Into the Abyss. L’ancien combattant prend conscience que son acte est un crime de guerre mais le justifie par la simple mise en application d’un entraînement.
La beauté du geste de Mograbi est d’offrir à cet homme une forme de double thérapie, d’accompagner au lieu de condamner. D’une part, un travail s’opère avec le cinéaste qui organise le retour du soldat sur les lieux de la tragédie et recueille son récit sans intervenir. L’autre versant du documentaire est celui d’une thérapie de couple où le soldat et sa compagne composent difficilement avec un passé qui habite les silences de leurs discussions quotidiennes. L’ancien combattant recherche inlassablement le pardon de sa compagne, qui de son côté ne peut se résoudre à s’identifier à lui pour le comprendre. A travers le jeu impossible de la reprise du récit de l’homme par la femme, Z32 dresse le portrait poignant d’un couple fragilisé par un passé envahissant. Les corps affalés des amants se touchent mais un gouffre les sépare dans lequel viennent se perdre leurs regards qui se détournent l’un de l’autre à l’évocation du raid de représailles.
Au-delà de la profonde humanité qui s’en dégage à chaque instant, Z32 est remarquable par sa recherche de formes novatrices et la manière juste de traiter son sujet. La première demi-heure se lit comme un passionnant « making of » qui enregistre le « work in progress » des différents éléments faisant la matière du récit. On y voit la création d’un masque numérique bluffant, à même de restituer les expressions faciales de l’ancien soldat et de sa compagne tout en conservant leur anonymat. Le dispositif efficace produit un effet de proximité en même temps qu’un sentiment d’altérité. Si l’artifice est au début presque invisible, il crée finalement une distance par rapport à un homme qui a perdu une part d’humanité, porte ensuite la marque de l’acte monstrueux qu’il a commis et fait partager ce poids à sa compagne. On assiste aussi durant cette première demi-heure à la composition d’une chanson, autre outil atypique dans le genre du documentaire utilisé avec maestria par Mograbi. Le cinéaste se fait la voix d’une émotion poétique à travers des performances musicales interprétées « live » qui évoquent les collaborations de Bertolt Brecht et Kurt Weill. Contrastant avec le discours froid et précis de l’ancien combattant, ces séquences permettent au documentariste de s’interroger sur son rôle d’artiste et de sublimer le caractère tragique de son sujet. Œuvre aussi hybride qu’originale, Z32 est un documentaire dont la franche réussite tient finalement à un équilibre idéal entre un fond à la résonance universelle et une forme à la fois innovante et stimulante.
Didier Flori
- Z32 réalisé par Avi Mograbi disponible en DVD à partir du 19 août 2014.
- Scénario : Avi Mograbi et Noam Enbar
- Production : Serge Lalou, Avi Mograbi
- Photographie : Philippe Bellaïche
- Montage : Avi Mograbi
- Décors : Tony Dwi Setyanto
- Costumes : Rinaldi Fikri
- Musique : Noam Enbar
- Editeur DVD : Epicentre Films Editions
- Bonus : Débat à l’Ecole militaire (25 min), « Briser le silence » – discours d’Avi Mograbi (5 min), Chanson Live à Tel Aviv (16 min), A propos des effets-spéciaux (4 min), Bio-filmographie, Galerie photos, Bande-annonce.
- Durée : 1h20
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