Synopsis : Kay a peur de tout : du présent, de l’avenir, de la vie, de la mort. Tout semble s’arranger lorsqu’elle se met en ménage avec Louis, l’ancien fiancé d’une collègue. Mais ce bonheur apparent ne dure qu’un temps et ses angoisses la reprennent. C’est alors qu’apparaît Sweetie, sa jeune sœur, obèse, débraillée et sympathique, qui laisse dans son sillage un énorme nuage d’entropie…
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Sweetie de Jane Campion reprend les chemins des salles obscures en version restaurée le 2 septembre prochain. L’occasion de (re)découvrir cette œuvre de la cinéaste néo-zélandaise, première femme à avoir remporté une Palme d’or au Festival de Cannes avec La Leçon de Piano en 1993. Sweetie, premier d’une filmographie régulière et maîtrisée, sorti en 1989, est à la fois viscéral et délicat, pétri des obsessions de la réalisatrice dont le fameux point de vue sur les féminités hors-normes est ici déjà pleinement formé. L’opposition entre Kay (Karen Colston), effacée et pleine d’incertitude face à sa sœur, et la cultissime Sweetie (Geneviève Lemon) fonctionne toujours autant et révèle avec efficacité la famille dysfonctionnelle. Outre cette direction d’acteur si particulière, cette lenteur dans l’articulation et cette sensation de formol qui entoure les personnages, les partis pris visuels ne sont pas sans rappeler le David Lynch des années 80 comme Blue Velvet : des compositions, décompositions de cadres recherchées, accompagnées par une photographie bleutée frôlant un surréalisme onirique. Une ode au sensitif et à l’émotionnel des personnages, Sweetie est une tentative de rendre compte, à travers le cinéma, des troubles psychologiques qui affectent et enferment ce personnage exubérant et attachant. Vingt-cinq ans après, l’impact de l’œuvre est intact.
Si par la suite, la réalisatrice s’est illustrée par un propos plus affirmé comme La Leçon de Piano ou In The Cut, il n’en reste pas moins une mise en place déjà quasi complète de ses éléments de prédilection : troubles de la féminité et incertitude du quotidien, ambivalence de la sexualité féminine et notion de contrôle. Le tout servi formellement et de façon impeccable par des choix judicieux à tous les niveaux : écriture, musique, lumière, interprétation et rythme de découpage. Si elle est épaulée fermement par Karen Colston (Kay) et l’ensemble de la distribution, on reste marqués par la performance de Genevieve Lemon, qui a su conférer au personnage toute la complexité de la maladie, entre émotion et énervement, tendresse et dureté. L’expression est éculée, mais l’étrangeté de sa prestation transcende bel et bien l’œuvre qui fit sensation sur la Croisette en 1989. Elle n’a certes pas figuré au palmarès, mais elle fait pourtant partie intégrante aujourd’hui des œuvres qui gardent leur éclat. Il n’y a qu’à ouvrir les yeux pour la découvrir, encore et encore…
- Ressortie de SWEETIE réalisé par Jane Campion en salles le 2 septembre 2015 en version restaurée.
- Avec : Genevieve Lemon, Karen Colston, Tom Lycos, Jon Darling, Dorothy Barry, Bronwyn Morgan, Sean Fennell, Sean Callinan, Norm Galton…
- Scénario : Jane Campion, Gerard Lee
- Production : John Maynard
- Photographie : Sally Bongers
- Montage : Veronika Jenet
- Décors : Peter Harris
- Costumes : Amanda Lovejoy
- Musique : Martin Armiger
- Distribution : Splendor Films
- Durée : 1h37
- Sortie initiale en France : 3 janvier 1990
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