Interview du réalisateur Bertrand Mandico autour d’Hormona

Publié par Charles Amenyah le 12 septembre 2015
Bertrand Mandico

Bertrand Mandico

À l’occasion de la sortie en salles d’Hormona, triptyque charnel et surréaliste, le cinéaste Bertrand Mandico nous a reçu dans les bureaux d’Ecce Films. Cette figure hors normes du cinéma indépendant français évoque avec nous son parcours, ses obsessions, son amour pour la pellicule, son attrait pour les midnight movies et Les Garçons Sauvages, son premier long métrage en préparation.

 

 

 

Hormona - affiche

Hormona – affiche

CineChronicle : Pouvez-vous raconter votre parcours ?

Bertrand Mandico: Il est à la fois chaotique et linéaire. J’ai grandi dans un petit village entre Montauban et Toulouse. Sans oser le formuler, j’ai été très tôt épris de cinéma que j’ai d’abord abordé par le biais des arts plastiques. N’ayant pas accès à une caméra, je me suis d’abord lancé dans des recherches graphiques à l’aide de dessins et de collage. J’ai également visionné beaucoup de films et fait une école de cinéma d’animation ; sachant que je n’étais pas un mordu de dessins animés. Je suis toutefois sensible à certains courants qui utilisent le cinéma d’animation comme un procédé de trucage afin de mettre en place des univers surréalistes. Dès l’école d’animation, j’ai eu une caméra, au moment même où il y a eu la bascule entre le numérique et la pellicule. Nous avons eu à disposition les premiers outils numériques tandis qu’on nous apprenait encore à travailler avec la pellicule, à développer nous-mêmes, et à utiliser une table de montage. L’odeur de la pellicule et de la caméra mécanique m’a rapidement mis dans un état second.

 

CineChronicle : Pourquoi avoir choisi de démarrer par le court métrage et non par le long directement ?

Bertrand Mandico : Le format m’importe peu finalement. J’ai commencé avec l’animation et conçu des films avec mes propres moyens, le format court me semblait plus approprié. D’autant que j’ai développé un type d’écriture très proche de la nouvelle. J’ai donc pu explorer des histoires et expérimenter beaucoup d’éléments et d’univers grâce au court. J’ai rédigé quelques longs mais, pour plusieurs raisons, les projets n’ont pas vu le jour : cela m’a quelque peu échaudé d’ailleurs. Plutôt que d’attendre leur aboutissement, j’ai préféré réaliser des courts.

 

 

À LA DÉCOUVERTE D’UN CINÉMA SURRÉALISTE, RADICAL ET LIBRE

 

Hormona

Hormona

CineChronicle : Vous sortez aujourd’hui en salles Hormona qui comporte trois films phares (Prehistoric Cabaret, Y’a-t-il une vierge encore vivante et Notre Dame des hormones), alors que vous étiez jusqu’ici habitué au cinéma underground. Est-ce pour vous le moment de vous faire connaître du grand public ?

Bertrand Mandico : On s’est aperçus que les trois courts étaient dans le même esprit et qu’une communauté de liens formels et thématiques les unissait. Je suis fasciné par l’univers des Midnight Movies. Je voulais faire une proposition radicale dans un cinéma qui pourrait se propager grâce au bouche à oreille et, dans le meilleur de cas, devenir culte… Un peu dans l’esprit de ce que fait le Studio Galande avec le Rocky Horror Picture Show. Cela m’amuse beaucoup d’ailleurs que mes courts-métrages dans HORMONA cohabitent aujourd’hui avec ce film. Je pense qu’au cœur des villes il y aura un retour de la diffusion dans les petites salles d’art et d’essais. J’espère aussi que les salles pornographiques en voie de disparition seront reprises par ce type de cinéma. J’aime cette idée romantique d’un film qui tient sur la durée et se diffuse peu à peu. L’année dernière déjà, Malavida Films m’avait proposé de sortir en salles deux de mes œuvres (Boro in the box et living still life). Ce fut intéressant car je me suis retrouvé confronté à la critique et au public. Cela change du contexte des festivals et il est important pour un cinéaste de se plonger dans l’arène. Le public du court-métrage est restreint mais bien présent.

 

CineChronicle : Comment appréhendez-vous justement les critiques ?

Bertrand Mandico : Je deviens parfois étranger à mon propre travail. Les critiques sont plutôt positives, ce qui me ravit, étant moi-même un grand lecteur de critiques. Cela m’amuse de voir à quel point on retient la dimension organique de mon cinéma (laquelle n’est pas nécessairement flagrante pour moi). De plus, j’ai tendance à aimer quand on parle davantage du fond que de la forme. Ma forme prend une grande place et occulte parfois le fond ; j’aime donc quand les critiques remettent ce fond à l’honneur.

 

Elina Lӧwensohn et Nathalie Richard dans Notre Dame des Hormones

Elina Lӧwensohn et Nathalie Richard dans Notre Dame des Hormones

CineChronicle : L’univers que vous décrivez dans Hormona est à la fois féerique, sensuel et vénéneux. La beauté et le désir sont-ils indissociables de la brutalité et de la mort ?

Bertrand Mandico : La violence est présente dans mon œuvre mais toujours stylisée, magnifiée. Cette violence apparaît dans tous les récits fondateurs et dans l’histoire même de l’humanité mais tout dépend de la façon dont on se l’approprie. C’est l’érotisation de la brutalité qui m’intéresse.

 

CineChronicle : Concevez-vous justement qu’on puisse établir un parallèle entre votre cinéma et la pornographie ?

Bertrand Mandico : Il y a un fétichisme certain dans mes œuvres. Une certaine pornographie m’ennuie fortement et l’érotisme m’amuse. Par exemple, l’érotisme exotique des années 70 a malheureusement été totalement balayé par Youporn et, de manière plus générale, le « marché de la chair ».

 

CineChronicle : Quelle est d’ailleurs votre conception de la religion : faut-il voir dans vos œuvres aussi bien un hommage qu’une provocation ?

Bertrand Mandico : Ma religion, c’est le cinéma, et j’aime particulièrement le rite païen. Il y a donc beaucoup d’éléments de l’histoire des religions avec lesquels je joue. Mais je ne cherche pas nécessairement à choquer. Je suis cinéphile, des œuvres des années 60 et 70 aux films d’auteurs pointus, en passant par le cinéma d’avant-garde. Je suis toujours surpris de voir à quel point certains cinéastes pouvaient repousser les limites à certaines époques. Finalement, je me trouve assez raisonnable.

 

LES FEMMES, SA MUSE

 

 

Elina Lowensohn et Nathalie Richard dans Notre Dame des Hormones de Bertrand Mandico / Photo Ecce Films

Elina Lӧwensohn et Nathalie Richard dans Notre Dame des Hormones de Bertrand Mandico

CineChronicle : Quels motifs ont déterminé votre choix de vous lancer dans le tournage de ces trois films ?

Bertrand Mandico : Je voulais mettre en scène le duo Elina Löwensohn, mon actrice fétiche, et Nathalie Richard. J’ai vu Elina dans Simple Men, et dans Nadja et Sombre, elle m’a profondément marqué. Je sentais qu’elle se rapprochait artistiquement de moi. J’avais donc envie de travailler avec elle depuis longtemps mais j’attendais d’avoir un projet solide : je lui ai proposé Living Still Life puis Boro in the Box. En commençant à travailler avec elle, j’ai eu rapidement l’impression d’avoir un Stradivarius entre les mains ! Puis nous avons eu cette idée, grandiose mais raisonnable, de concevoir 21 films en 21 ans. Je voulais créer une filmographie rêvée assez proche de ce que Orson Welles avait fait à la fin de sa vie : des films inachevés avec des costumes très chamarrés. Cette idée de film-kaléidoscope me plaisait beaucoup. Nous en sommes donc aujourd’hui au sixième.

 

CineChronicle : On remarque que vos castings privilégient toujours les femmes. Doit-on voir vos films comme une tentative de les diviniser ou plutôt de les rendre prosaïque.

Bertrand Mandico : Difficile de répondre, je ne me suis pas posé cette question. L’idée était avant tout de présenter la femme dans tous ses états. Le rapport à l’actrice est donc très important pour moi : il s’agit de la mettre dans des états contradictoires pouvant aller de la violence à la douceur, de la sensualité à l’abjection. Et j’aime les femmes, tout simplement.

 

Notre Dame des Hormones de Bertrand Mandico

Notre Dame des Hormones de Bertrand Mandico

CineChronicle : Y a-t-il certaines propositions ou choix que vos actrices trouvent trop délirants ?

Bertrand Mandico : Le rapport que j’entretiens avec Elina, mon actrice fétiche, me permet d’aller assez loin dans nos recherches artistiques. Elle regrettait que l’on ne lui fasse pas de propositions folles. J’essaie donc toujours de l’emmener ailleurs, vers les idées les plus incongrues. Si de tels choix peuvent sembler de prime abord inconfortables pour une actrice, Elina parvient à faire jeu de tout cela. Avant chaque tournage, je présente mes films aux actrices. Ils peuvent autant faire figure d’argument que de repoussoir. Mais jusqu’ici, aucune de mes actrices n’est partie en courant (rire).

 

CineChronicle : Dirigez-vous beaucoup vos actrices ?

Bertrand Mandico : Oui, mais j’essaie de tout préparer en amont afin que la réalisation soit la plus fluide et précise possible. Des actrices comme Nathalie et Élina comprennent très vite et savent anticiper. Mais il faut selon moi qu’un réalisateur soit très présent sur le plateau, et non dans une pièce isolée à regarder un écran.

 

CineChronicle : On remarque que vos personnages, de Boro in the Box à Notre Dame des Hormones, explorent souvent le monde avec leur langue. De la vue ou du toucher, quelle est selon vous le sens privilégié pour appréhender le monde?

Bertrand Mandico : Je caresse avec les yeux, je bois avec les oreilles et je touche avec la langue !

 

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