Synopsis : Octobre 1981. Ernest Krakenkrick et Bachir Bouzouk sont deux brillants pilotes de l’armée française. Suite à une malencontreuse erreur au cours d’un test de centrifugeuse, ils perdent une partie de leur potentiel intellectuel. L’armée voulant les garder dans l’aviation, on leur trouve un poste de bagagistes à Orly Ouest. Et là … La genèse des aventures de nos deux laveurs de carreaux de La Tour Montparnasse Infernale.
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Quinze ans après un premier volet (devenu) culte, La Tour Montparnasse infernale (2001), le duo comique se reforme après une petite pause – de 2011 à 2015 – où chacun en a profité pour aller explorer de nouveaux horizons : Éric a tourné l’excellente série Platane, et s’est rapproché du réalisateur génial Quentin Dupieux (Wrong, Wrong Cops), tandis que Ramzy a trouvé d’autres compagnons de fortunes pour des apparitions plus ou moins remarquées (Beur sur la ville, Les Seigneurs, Les Kaira, Les Nouvelles Aventures d’Aladin, Lolo, Pattaya…). Si bien que ce nouvel opus, au-delà de l’effet d’annonce et de l’impérissable complicité qui unit les deux comédiens, devait permettre d’approfondir certaines techniques (comiques ou autres) qu’ils auraient chacun pu développer durant cette rupture temporaire. Et si Seuls Two (2008), unique film où ils furent également réalisateurs, laissait entrevoir, par instants, la folle ambition des deux compères de livrer une comédie absurde, aussi totale qu’absolue, c’est bien avec la comédie barrée de Dupieux, Steak, un an auparavant, que naquirent des velléités de mise en scène chez Éric. Le film fut un échec commercial, mais il est probablement à la base de l’éclatement du duo, et de l’envie naissante d’Éric de s’adonner au métier de cinéaste, ou plus particulièrement de « créateur » à l’image de ce qui se fait aux États-Unis pour les séries. Et bien que tout ne soit pas parfait dans cette fausse suite ou prequel, certaines idées ne manquent pas de rappeler l’audace du duo dans l’expérimentation de toutes les formes comiques. En bons cinéphiles (Monty Python, Marx Brothers, Will Ferrell, Ricky Gervais, Ben Stiller…), Éric et Ramzy savent qu’une bonne comédie repose généralement sur les seconds rôles.
Alors que Seuls Two utilisait finalement assez peu le potentiel de son casting pourtant génial (Omar Sy, Fred Testot, Édouard Baer, François Damiens), La Tour 2 Contrôle infernale libère un espace conséquent aux autres comédiens, pourtant moins estampillés « comique de service » : Marina Foїs, Philippe Katerine, Serge Riaboukine, Grégoire Oestermann et William Gay s’en donnent à cœur joie dans l’humour décalé, joué avec un sérieux désopilant. Éric et Ramzy ont en effet donné à leurs comédiens les meilleurs dialogues et les meilleures situations, preuve de leur humilité et de leur compréhension du savoir comique, celui de ne pas être de tous les plans. Et que dire alors de la performance gigantesque de Philippe Katerine qui, après avoir incarné le président Bird dans GAZ DE FRANCE (notre critique), enfile ici le costume du bad guy raciste et refoulé, élevant toutes les scènes dans lesquelles il apparait. C’est le véritable coup de génie de La Tour 2 que d’avoir laissé à l’acteur-chanteur une telle liberté d’expression. Il y a d’ailleurs un contraste entre les scènes du duo qui seul, partent à un niveau d’absurdité parfois brillant (la cage des éperviers) mais aussi inopérant (chez le médecin), et celles de groupes, où Judor instaure un autre point de vue, celui des gens « normaux », qui permet de prendre une distance « adulte » sur les bêtises du duo.
À leur décharge, les deux compères assument tellement leurs personnages de « gogols » – ils n’hésitent d’ailleurs jamais à aller dans l’absurde le plus hermétique – qu’il faut tout de même leur rendre hommage car c’est un humour encore très impopulaire en France. Mais le vrai problème vient surtout de cet exercice d’auto-flagellation que les deux se livrent en permanence ; chacun cherche à repousser les degrés de comédie qui peuvent tourner en rond. On remarque d’ailleurs que ce déséquilibre ne vient pas de Ramzy, toujours un brin plus perspicace que son acolyte, mais du personnage interprété par Éric. Alors que dans Platane, il joue une version extrême de lui-même et que dans H (1998-2002), autre série emblématique, il incarne l’archétype du looser, ses personnages sont à chaque fois dotés d’une fausse assurance, d’une mauvaise foi incroyable et d’un pouvoir de manipulation important. Mais lorsqu’il joue un véritable « gogol », Éric perd cette fragilité, cette ambivalence humaine qui rend ses autres personnages si délectables.
En forçant le jeu de sa voix – le timbre est souvent important dans la comédie –, il surjoue un simplet qui se sait lui-même malade et déficient. Ce n’est donc pas ici où il est à son meilleur. Il rejoint les comiques qu’il admire tant lorsqu’il interprète des enfants dans des corps d’adultes. Mais à la différence de Ferrell ou de Stiller, qui incarnent des demeurés sans le savoir, Éric Judor s’en éloigne de fait irrémédiablement. Cette caractéristique – le burlesque – se révèle à la fois l’originalité et la faiblesse du diptyque. Cependant, lorsque l’absurde est travaillé par la mise en scène – la durée d’un plan, le choix d’un angle -, le film peut enfin dépasser la vanne écrite pour le gag visuel et atteindre l’essence du burlesque : le (très très) gros plan durant le speech de Katerine ; la chute acrobatique de Ramzy sur les vitres ; les running-gags sur les fautes de français et la misogynie du futur ministre de la culture…
Et si La Tour 2 parodie ouvertement les films d’action terroristes américains façon Die Hard ou imite plutôt Hot Shots ! de Jim Abrahams (autre référence de la comédie US), avec son groupe de méchants ridicule et ses sauveurs improbables, les deux auteurs conservent un humour bien franchouillard : les blagues racistes sur les minorités ethniques (les noirs) et sociales (la famille bourgeoise) ; le retard de la France en matière de technologie ; les accents français des étrangers, la paresse française… Autant de tares qu’utilisent Éric et Ramzy pour ornementer leur comique de traits plus intelligible, facile et passe-partout. C’est par cette pluralité des formes comiques qu’on reconnaît le talent du cinéaste, et à ce titre, la comédie de Judor s’en tire très bien, et prouve que l’absurde, fort heureusement, a encore un rôle à jouer dans la comédie française.
Antoine Gaudé
- LA TOUR 2 CONTRÔLE INFERNALE de Éric Judor en salles le 10 février 2016.
- Avec : Éric Judor, Ramzy Bedia, Marina Foїs, Philippe Katerine, Serge Riaboukine, William Gay, Grégoire Oestermann…
- Scénario : Éric Judor, Ramzy Bedia, Nicolas Orzeckowki
- Production : Ilan Goldman
- Photographie : Vincent Muller
- Montage : Jean Christophe Hym, Jean Denis Buré
- Décors : Bertrand Seitz
- Costumes : Aline Dupays
- Musique : David Sztanke
- Distribution : Légende Distribution
- Durée : 1h28
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