La 18ème édition du Festival International du Film d’Aubagne, qui met à l’honneur la musique de film, s’est tenue du 20 au 25 mars 2017. Retour sur une compétition intéressante ponctuée par les cartes blanches aux compositeurs et cinéastes invités pour l’occasion.
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Sur la place centrale de la petite ville d’Aubagne, surplombée par le Garlaban cher à Marcel Pagnol, le cinéma qui porte son nom – ou plutôt celui de son père, comme il l’a jadis joliment dit – a accueilli pendant six jours les nombreuses projections organisées par le FIFA (Festival International du Film d’Aubagne), consacré à la musique de film. Dix longs-métrages ont été sélectionnés pour la compétition officielle. Neuf d’entre eux étaient européens, huit des premières oeuvres. Plusieurs tendances sont à dégager de la vision de cette dix-huitième édition et de ces dix films d’auteurs choisis par le festival.
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HISTOIRES DE FILIATION
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La thématique la plus imposante fut concentrée sur de nombreuses histoires de réconciliations filiales. C’est le cas de Waldstille, du néerlandais Martijn Maria Smits, dans lequel un père qui a tué sa compagne dans un accident de voiture cherche à renouer avec sa fille à sa sortie de prison. Dans Jonathan, film allemand du réalisateur polonais Piotr J. Lewandowski, où ledit Jonathan s’occupe de son père malade quand l’arrivée de l’ancien amant de ce dernier ramène à la surface un passé enfoui et douloureux. Les deux films belges de la sélection, La Passé devant nous de Nathalie Teirlinck et Le Ciel flamand de Peter Monsaert, respectivement sacrés Grand Prix du Jury et Meilleur Film de la compétition, racontent le rapport de deux prostituées à leur enfant. Dans le premier, c’est l’ex beau-frère de l’héroïne, call-girl de luxe, qui lui ramène son fils qu’elle ne connaît pas après le décès de son ancien compagnon. Le Ciel flamand raconte, quant à lui, le combat d’une mère, tenancière d’un bordel de campagne, pour retrouver l’homme qui a violé sa fille. Le film est plutôt réussi, mais évoque sans les surpasser des films voisins, en premier lieu desquels Ça s’est passé en plein jour.
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DE LA MISE EN SCÈNE IMMERSIVE…
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Un autre élément qui rapproche certains des films en compétition est la forte propension à ce que l’on pourrait appeler le réalisme immersif, une manière de filmer qui consiste à suivre au plus près les personnages, à coller à leurs pas sans souci de mise en perspective ni appréhension de l’espace. Cette esthétique de mise en scène, que l’on associe le plus souvent au frères Dardenne et que l’on pourrait faire remonter – jusqu’à un certain point – à quelques films de John Cassavetes, a beaucoup fait florès ces dernières années. La révolution numérique, qui bouleverse le cinéma depuis plus d’une décennie, peut expliquer en partie l’émergence de cette école, avec l’apparition de caméras petites et maniables et qui rendent moins nécessaire le travail d’éclairage.
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Le Festival d’Aubagne a accueilli un certain nombre d’héritiers de cette école. Certains de ces films, Le Passé devant nous et Waldstille notamment, redoublent cette préséance du personnage sur son milieu par une utilisation fréquente des objectifs à longue focale, qui ont pour principal caractéristique de réduire la profondeur de champ. Seul le personnage est net à l’écran, tout ce qui l’entoure est noyé dans un flou indifférencié. Il est intéressant de noter que ces films ont aussi en commun de se dérouler dans des univers urbains indifférenciés (hôtels, banlieues résidentielles, centres commerciaux), comme si la laideur uniforme de ces lieux génériques les rendaient inéligibles au regard de la caméra. C’est en s’écartant dans ces milieux urbains et péri-urbains et grâce à un retour à la campagne que la caméra s’autorise de nouveau à voir autour d’elle, notamment dans les deux films allemand, Jonathan et Rakete Perelman.
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… AU SOUND DESIGN
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La musique fut le plus souvent au diapason de ce parti pris de mise en scène. Ce que l’approche immersive est à la mise en scène classique, le sound design l’est à la bande originale traditionnelle. Cette nouvelle tendance s’explique sans doute par le prix que coûtent des arrangements philharmoniques pour une production à petit budget. L’avènement du tout numérique là encore, en termes de mixage sonore comme de compositions assistées par ordinateur, a largement favorisé l’underscoring, qui privilégie une partition accompagnant discrètement l’atmosphère de la scène à une réelle ligne mélodique. Ce fut le cas des deux films belges, notamment où la musique se ressent plus qu’elle ne s’entend. Dans Waldstille la bande originale de Rutger Reinders est le plus souvent d’ambiance, pour se révéler plus présente dans les acmés dramaturgiques, telles ces nappes de violons aux accents badalamentiens en début de film, où les guitares électriques évoquant lointainement Rodolphe Burger qui se font entendre lorsque le protagoniste se libère du poids de son incarcération au volant d’un pick-up, à la campagne. La partition électro conçue par Mathieu Lafontaine pour 1:54 est quant à elle plus présente, et tout à fait réussie. Mais les meilleures productions musicales se sont retrouvées en grande partie dans les films français présentés par le festival.
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UNE BELLE SÉLECTION FRANÇAISE
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La sélection française n’a en effet pas déméritée. Souffler plus fort que la mer, de Marine Place, qui raconte l’histoire d’une adolescente passionnée de musique dont les parents ruinés doivent vendre leur bateau de pêche, repart avec un prix de la meilleure musique méritée. Malgré d’insignes faiblesses dans son ambition réaliste (personnages grossièrement dessinés, dialogues explicatifs), le film ne manque pas de force dans ses quelques passages oniriques, quand l’adolescente s’imagine submergée par l’océan. Mais sa plus grande réussite réside incontestablement dans son travail sur la musique. Celle-ci jongle avec plusieurs registres : les morceaux de saxophone que joue le personnage principal, les chansons interprétés par les deux musiciens en villégiature sur l’île, et bien sûr la bande originale d’Émile Parisien. Grand Froid, l’adaptation par Joël Egloff du roman Edmond Ganglion & fils, réalisée par Gérard Pautonnier méritait peut-être le prix du meilleur film. Cette comédie noire qui raconte un enterrement ubuesque mené par une entreprise de pompes funèbres au bord de la faillite a tout pour plaire : mise en scène élégante et efficace, dialogues ciselés, interprètes savoureux (notamment le duo Jean-Pierre Bacri/Arthur Dupont). La musique de Christophe Julien fait mouche, et ses accents de blues s’accordent parfaitement au timbre et à la voix de la chanteuse Mesparrow, que l’on entend à plusieurs reprises.
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Hors compétition, l’avant-première de Cessez-le-feu d’Emmanuel Courcol, a également convaincu. Le film raconte l’histoire de deux anciens poilus, interprétés par Romain Duris et Grégory Gadebois, deux frères qui cherchent à retrouver une vie normale après la traumatisme de la Première Guerre mondiale. La scène d’ouverture, qui nous montre Romain Duris dans les tranchées, est édifiante. Ce récit, par ailleurs relativement apaisé, s’appuie tout entier sur la violence de cette séquence d’ouverture qui stupéfie par sa façon de dépeindre l’horreur effroyable du combat. Tout ce qui suit, l’exil de Duris en Afrique, le mutisme traumatique de Gadebois, leur retour à la vie favorisé par le personnage de l’excellente Céline Sallette, reposent sur cette courte scène saisissante que l’on ne parvient pas, comme les protagonistes, à oublier. La musique composée par Jérôme Lemonnier est excellente. Ce dernier, venu présenter la projection avec le réalisateur, a également dirigé la Masterclass du festival, où de jeunes compositeurs ont travaillé à offrir une nouvelle musique à cinq courts-métrages. Le résultat, concluant, a été joué devant le public à l’issue de la cérémonie de clôture.
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INVITÉ(E)S D’HONNEUR
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Finissons par dire un mot sur les cartes blanches laissées aux invités d’honneur, et notamment à deux d’entre elles, Rachel Portman et Noémie Lvovsky. La compositrice britannique lauréate de l’Oscar de la meilleure musique de 1997 pour Emma, l’entremetteuse est venue présenter Le Chocolat, de Lasse Hallström. Comme évoqué dans notre interview, elle qui n’a disposé que de trois semaines pour composer la bande originale de ce film a fait un travail remarquable. Elle a séduit le public avec ses anecdotes de tournage. Quant à Noémie Lvovsky, elle nous a parlé de sa collaboration avec Gaétan Roussel, ancien membre de Louise attaque, pour la musique de son chef d’œuvre, Camille redouble. À noter également, la Leçon de Cinéma de Nathaniel Méchaly, compositeur attitré de Europa Corp, qui a aussi bien évoqué ses collaborations sur la franchise Taken que sa collaboration avec Wong Kar-wai sur The Grandmaster.
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PALMARÈS AUBAINE 2017
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- MEILLEURE MUSIQUE : Émile Parisien pour Souffler plus fort que la mer
- MEILLEUR FILM Le Ciel flamand de Peter Monsaert
- GRAND PRIX : Le Passé devant nous de Nathalie Teirlinck
- PRIX D’INTERPRÉTATION FÉMININE : Elina Vaska dans Es esmu seit
- PRIX D’INTERPRÉTATION MASCULINE : Kevin Azaïs dans Compte tes blessures
- PRIX DU SCÉNARIO : Yan England pour 1:54