Le Festival de Deauville a attiré une nouvelle fois de nombreux cinéphiles et professionnels du cinéma pour vivre une semaine au rythme du cinéma américain. Présidé cette année par Frédéric Mitterrand, le jury a pu découvrir quatorze films concourir pour le fameux Grand Prix ainsi que de multiples hommages, remises de prix et prestigieuses avant-premières. Mais l’heure du bilan a sonné…
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Le Festival du Cinéma Américain de Deauville tente de donner chaque année au début du mois de septembre le pouls du cinéma indépendant américain actuel. À l’instar du Festival de Sundance, dont il reprend parfois les films primés, Deauville sélectionne les films les plus représentatifs et éclectiques. Et si la présence de grandes oeuvres n’est pas à exclure (My Own private Idaho en 1991, Take Shelter en 2011), Deauville n’est pas avare en excellents films.
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Cette 42e édition fut un bon cru bien qu’elle n’ait pas offert le chef-d’œuvre escompté. Ce n’est pas vraiment une surprise tant sa position dans le calendrier annuel des festivals de cinéma les plus prestigieux ne lui permet guère de priser ce type d’objet rare. Placé après Berlin et Cannes puis entre Venise et Toronto, Deauville peut difficilement rivaliser en termes de programmation. Cependant, son rôle est ailleurs, sur un autre terrain, voire d’un autre ordre.
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Si on doit retirer une ligne de force directrice de cette 42e édition, ce serait celle de l’incommunicabilité des êtres entre eux. La sélection a montré des écarts (sociétaux, physiques, idéologiques…) et des distances (géographiques, générationnelles…) en train de se creuser. Chez les jeunes, c’est l’envie d’ailleurs, de prendre subitement la tangente. Une attitude parfois violente et rebelle vis-à-vis de valeurs institutionnalisées comme universelles, par des adultes qui eux déménagent, disparaissent puis réapparaissent. Ces derniers tentent en vain de réfléchir sur les choix et les décisions qui les ont amenés dans ces situations plus ou moins délicates et dangereuses. Le manque de communication de l’homme moderne est inhérent à son repli sur lui-même, à son isolement progressif par rapport aux autres, voire à son caractère dépressif. Conséquence d’une jeunesse brimée, sûrement, les films n’ont cessé de marquer cette « distance » entre la rêverie insouciante et irrationnelle des enfants et la réalité cruelle et violente du monde des adultes.
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DES GRANDS NOMS TOUJOURS PRÉSENTS
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Dans une catégorie qu’on qualifierait « d’excellence », on retrouve certains cinéastes déjà remarqués et régulièrement acclamés. Pour Ira Sachs, Brooklyn Village (critique), qui rafle avec joie le Grand Prix, est sans doute l’œuvre la plus intelligente cinématographiquement parlant de cette 42e édition. Véritable leçon de cinéma minimaliste, ce drame parvient à susciter les plus sincères émotions avec une écriture scénaristique des plus épurées. Avec Le Teckel (critique), Todd Solondz signe, sans réelle surprise, une œuvre absurde, cynique, inventive, dans la lignée de sa filmographie. Déjà acclamé à Cannes, Captain Fantastic (critique) de Matt Ross, feel-good movie intelligent et magnifiquement interprété, satisfera le plus grand nombre tant le scénario de cette famille atypique est conçu pour remporter un maximum l’adhésion. Deux beaux films récompensés par le prix du jury ex-aequo. Certain Women (critique) de Kelly Reichardt reste sans doute son film le plus difficile d’accès. L’intensité intérieure de chacun de ses cadres délivrent les plus beaux portraits de femme que l’on ait eu la chance de voir ici. On inclut également dans cette catégorie Complete Unknown (critique) de Joshua Marston, porté par les fabuleux Michael Shannon et Rachel Weisz, qui livre l’une des plus belles histoires d’amour de ce festival. C’est donc en toute logique que certaines de ces oeuvres se partagent les principaux trophées du palmarès.
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UNE MYRIADE DE BONS FILMS…
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Aux côtés des pépites de cette 42e édition, une flopée de propositions intéressantes ont fait plus ou moins bonnes impressions. Mean Dreams (critique) de Nathan Morlando et Transfiguration (critique) de Michael O’Shea ont opté pour la jeunesse – redneck pour l’un, ghetto pour l’autre – afin d’offrir des histoires d’amour cruelles et belles à la fois. Si The free World (critique) de Jason Lew a livré également une romance sur des âmes écorchés, on retient essentiellement la performance de son acteur principal, Boyd Hoolbrook. Dans les films à la tonalité bien différente, Sing Street (critique) de John Carney – comédie musicale euphorique située dans l’Irlande des années 1980 – devrait facilement trouver son public lors sa sortie en salles. À l’inverse, le sujet du Christine d’Antonio Campos (critique) s’avère l’un des plus pessimistes de cette édition. Construit autour d’un fait divers cinglant sur une journaliste dépressive qui se suicide en direct à la télévision, le récit opte pour une approche réaliste des plus implacables mais reste néanmoins magnifié par la présence hallucinante d’une Rebecca Hall renversante. Et pour finir, Transpecos de Greg Kwedar (critique). Il n’est pas le plus surprenant de cette catégorie, mais reste un thriller suffisamment entraînant pour mériter qu’on s’y attarde un instant. Si on excepte le final, qui s’embourbe dans une morale qui ne peut résumer l’iconographie symbolique du western que draine en grande partie l’intrigue, le film donne une image très contrastée de ces gardes-frontières américains. Des hommes qui risquent leurs vies à chaque instant et ne semblent plus maîtres de cet immense terrain de jeu qu’est le désert américain.
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… ET QUELQUES MANQUÉS
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Parmi les grosses déceptions, c’est l’artificiel et putassier Goat d’Andrew Neel (critique), consacré au bizutage dans les fraternités, qui récupère la palme. Suit de près Teenage Cocktail de John Carchietta (critique) qui, malgré un sujet tout aussi éloquent sur la sexualité et la pornographie à travers le regard débridé de deux mineures, rate le coche à cause d’une morale embarrassante. Et pour finir, The Fits (critique). Outre ses intentions nobles et légitimes qui ont manifestement conquis le jury de la critique, le premier long métrage d’Anna Rose Holmer s’arrête rapidement à l’exercice de style répétitif et saturé d’allégories.
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PALMARÈS COMPLET DEAUVILLE 2016
GRAND PRIX
- Brooklyn Village (Little Men) de Ira Sachs
PRIX DU JURY ex-aequo
- Captain Fantastic de Matt Ross
- Le Teckel (Weiner-Dog) de Todd Solondz
PRIX KIEHL’S DE LA RÉVÉLATION
- Le Teckel (Weiner-Dog) de Todd Solondz
PRIX DE LA CRITIQUE
- The Fits de Anna Rose Holmer
PRIX DU PUBLIC
- Captain Fantastic de Matt Ross
PRIX LITTÉRAIRE LUCIEN BARRIÈRE
- Stewart O’Nan pour son roman Derniers feux sur Sunset
PRIX D’ORNANO-VALENTI
- WILLY 1er de Ludovic Boukherma, Zoran Boukherma, Marielle Gautier & Hugo P. Thomas