Synopsis : Paris, 1880. Le sculpteur Auguste Rodin reçoit la reconnaissance de l’État français qui lui commande l’œuvre La Porte de l’Enfer. Il tombe amoureux de son élève la plus douée, Camille Claudel, qui devient sa maîtresse pendant dix ans avant une rupture douloureuse. Rodin réalise après s’être séparé d’elle un portrait de Balzac, qui fait scandale et marque l’histoire de l’art.
♥♥♥♥♥
Cela devait être un documentaire, puis le visage de Vincent Lindon est apparu comme une évidence dans la tête de Jacques Doillon pendant la phase préparatoire, et Rodin est devenu un film. Un film radical, au sens où il est dans la logique de sa gestation. Le très beau et très long plan séquence d’ouverture défini le style et le point de vue adopté par son réalisateur, plaçant le spectateur en témoin privilégié aux côtés de Rodin, en contemplateur, toujours à distance. Comme si nous avions eu la chance d’approcher la vérité de Rodin. La caméra est tout le long très mobile, fluide comme une étoffe, enchaînant les plans-séquences. Sans couper, sans champ-contrechamp, sans gros plans, toujours à distance polie, la contemplation n’autorisant pas la perturbation. La mise en scène est l’incarnation profonde du Maître sculpteur, à la recherche de la vérité absolue. Donc exit les techniques habituelles de filmage, de montage, d’éclairage ou de prise de son. Avec ce collage de séquences, sans montage, sans règle du point de vue entre les protagonistes, avec des dialogues pas toujours audibles, c’est un véritable exercice de style que nous livre Jacques Doillon pour son trentième film. À l’ouverture, Rodin se révèle de dos, avec en arrière-plan l’ébauche de la Porte de l’Enfer. Nous le regardons contempler son travail, sculpter, aimer, se disputer. À la différence d’un cinéma classique, nous ne voyons pas avec les yeux de Rodin, mais nous voyons ce qu’il voit. La réalité au détriment de la subjectivité, que Rodin a repoussée toute sa vie. Lorsque Rodin assemble le corps d’une femme accroupie, les fesses en arrière, sur les épaules d’un homme, on retrouve cette position dans la scène suivante lorsque Camille est sur lui dans un lit. Lorsqu’elle est dans la barque, sous le soleil, avec Rodin de dos en train de ramer, Doillon la met en scène de manière à ce que chaque mouvement (qui ne sont pas des poses) invitent à la sculpture, mais avec une infinie subtilité qui confine à la grâce. Nous voyons la même réalité que Rodin, mais jamais avec son regard.
.
.
De cette radicalité, Doillon ne sort qu’à quelques très rares instants, avec la voix-off de Rodin ou la sublime musique de Philippe Sarde, dans ces moments lorsque le cinéma reprend ses règles habituelles et que l’émotion affleure, de l’interaction entre le personnage et le spectateur : Rodin réussit à sculpter Hugo ou Balzac. Mais si la musique est une main tendue vers le spectateur, elle sort le film de sa radicalité. Un plan de pur cinéma clôture une séquence vers la fin du film, lorsque Rodin a compris que la réalité n’est pas le regard. Deux modèles l’entourent, l’enlacent, l’embrassent et le trio glisse doucement derrière une porte vitrée, qui se referme, la scène continuant derrière la surface en verre dépolie, à la manière de Monet qui fait vivre des tâches de lumière sur ses toiles.
.
Chez Rodin, le regard est fondamental mais ce sont ses mains qui font le travail. On voit au début du film à quel point il besogne avec son premier modèle, cherchant à reproduire avec une précision chirurgicale chaque courbe de cette femme parfaitement cambrée. On comprend avec les dernières scènes, dans lesquelles il multiplie les poses et les modèles, que ses mains sont devenues ses yeux, et que la vérité a dépassé la réalité.  Vincent Lindon entraîne dans ce rôle sa propre sincérité d’artisan artiste et la sympathie évidente qu’il a su créer au fil du temps. Tenter de décrire l’oeuvre ne doit pas lui enlever son défaut majeur, consécutif à ses choix audacieux. En s’abstenant de toute subjectivité, elle laisse le spectateur en contemplation passive, l’intéresse autant qu’elle le dépassionne, en lui ôtant toutes les facilités que le cinéma sait offrir pour attirer vers lui. Mais le voyage, quelqu’en soit sa difficulté selon la sensibilité ou la curiosité du spectateur, est passionnant.
.
.
- Note de la rédaction cannoise
- Nathalie Dassa : ♥♥♥♥♥
- Philippe Descottes : ♥♥♥♥♥
.
.
>> Notre interview cannoise avec Philippe Sarde pour Rodin <<
.
.
.
- RODIN réalisé par Jacques Doillon en salles le 24 mai 2017.
- Avec : Vincent Lindon, Izïa Higelin, Séverine Caneele
- Scénario : Jacques Doillon
- Production : Kristina Larsen, Patrick Quinet, Charles Cohen
- Photographie : Christophe Beaucarne
- Montage : Frédéric Fichefet
- Décors : Katia Wyszkop
- Costumes : Pascaline Chavanne
- Musique : Philippe Sarde
- Distribution : Wild Bunch
- Durée : 1h59
.