L’album de Rodin, dans les bacs depuis le 19 mai, est construit comme une suite musicale qui raconte l’histoire intérieure du sculpteur, à l’opposé de la vision plus contemplative du film de Jacques Doillon. Si les deux oeuvres se superposent parfois à l’image, l’album de Philippe Sarde permet, en trente minutes, un autre voyage au sein du génie d’Auguste Rodin.
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CineChronicle : Il y a une douzaine de minutes de musique dans Rodin et finalement n’est-ce pas trop ? Le style radical de la mise en scène exclu le spectateur du film, en le rendant contemplatif, et vous lui chuchotez à l’oreille avec la musique, n’est-ce pas contradictoire ?
Philippe Sarde : Au contraire, dans la mesure où Doillon n’a pas tourné de gros plans et qu’il se contente d’une voix-off de Rodin se parlant à lui-même, il fallait sur quelques scènes parler au public. La musique raconte l’angoisse du créateur, avec une émotion profonde. Elle raconte une histoire en plus. C’est la troisième couche : la première ce sont les plans de Jacques Doillon, ensuite la voix et la voix-off de Rodin, que l’on ne comprend pas toujours, et ensuite la musique. Chaque couche transporte à sa manière l’histoire et décrit le personnage de Rodin. Il est vrai que la deuxième couche, quand Lindon parle, on ne le comprend pas toujours. Sur le tournage, seuls Jacques (qui avait un casque) et Lindon savaient ce qui se disait. C’est assez dément, seuls deux personnes entendaient les dialogues. Rodin se parle à lui même, il ne peut pas le faire en portant la voix. Les autres, on les entend, mais ils jouent. Lindon est Rodin, il le disait d’ailleurs sur le tournage. « Pas besoin qu’on entende ce que je pense ».
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CC : Rodin parlait dans sa barbe, lorsqu’il était mal à l’aise ou indécis. On approche ainsi la vérité, même si cela rend le film moins grand public. C’est sa radicalité qui fait sa beauté.
PS : C’est un problème pour ma musique, même si ce défaut est devenu une qualité, oui, une vérité. On ne va pas superposer de la musique sur des dialogues que l’on entend mal. Ce n’est pas possible. Doillon m’a demandé de travailler comme d’habitude, en choisissant les scènes, même si au final seul un tiers est resté dans la version en salles. La musique est restée sur les scènes de sculpture, aidant le spectateur à comprendre ce qu’éprouve Rodin sans que l’on ait à comprendre ce qu’il marmonne.
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CC : Justement, l’apparition pour la première fois de la musique, lors de la sculpture de Victor Hugo, est très inattendue. Soudainement, le film nous prend par la main. Jusqu’à présent, le spectateur n’était qu’un témoin privilégié de Rodin dans l’exercice de son Art. Et voilà qu’on l’implique…
PS : Oui, il fallait prendre par la main pour montrer ce que Rodin a dans la tête. Son angoisse à sculpter un personnage qui refuse de poser, avec les enjeux que l’on imagine pour le sculpteur. Doillon me disait qu’il ne pouvait tourner ce que Rodin a dans son coeur, seule la musique pouvait l’évoquer, sur des moments stratégiques. Et le spectateur ne se rend pas compte qu’il y a peu de musique, car elle apparaît à des moments où elle est indispensable. Je n’aime pas non plus la musique dans les films si elle ne sert à rien.
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CC : Doillon filme d’une manière très particulière, qui n’inclut pas le spectateur, et l’apparition de la musique casse cette radicalité.
PS : Doillon voulait de la profondeur de champs. Il a mis une focale de 25 mm, mais sur une seule des deux caméras. L’autre donnait des gros plans mais surtout un côté biopic que Doillon voulait absolument éviter. On ne peut reprocher à un vrai metteur en scène son style. Marco Ferreri était pareil. Rodin n’est donc filmé qu’à une seule caméra. La seconde caméra, c’est le spectateur, et cette deuxième caméra, c’est avec elle que je travaille. Personne n’avait jamais fait de long-métrage sur Rodin. Il y a eu Camille Claudel, dans un style qui représente tout ce que déteste Doillon. Il a tout fait pour éviter le biopic, c’est pour cela que la majorité de la critique anglo-saxonne ne comprend pas le film.
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CC : Les violons sont très présents, l’instrument symbolise bien le travail du sculpteur. Les deux sculptent de leurs mains, l’un avec la glaise, l’autre avec les cordes. Pour le générique de fin, les violons commencent à jouer une fausse répétition, qui évolue avec frénésie au fur et à mesure de l’avancement : c’est le début de la carrière de Rodin. À la fin du générique, cette répétition est toujours présente, mais plus mature, jouée par des violoncelles. On comprend musicalement comment Rodin a évolué. Le générique d’ouverture est plus étonnant, une sorte de menuet ?
PS : Pour l’ouverture, c’est l’influence de Bach qui donne cet effet. Bach, c’est le travail. C’est aussi pour montrer l’époque, il fallait avoir cette espèce de bourrée. J’ai fait une version avec violoncelle pour le générique, mais je savais que Jacques ne voulait pas alourdir le début et qu’il choisirait ce qui rappelle le menuet, avec les violons. Pour le reste, c’est exactement ça, une fausse répétition en évolution. C’est pour cela que j’ai mis ce thème du générique de fin au début de l’album, car il résume tout.
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CC : Dans les dernières minutes, devant la cathédrale, puis à Tokyo, Doillon laisse venir la musique, l’émotion et le générique de fin s’empare de l’histoire et la raconte à nouveau. Quatre minutes de générique de fin (en fait le premier morceau de l’album) dans lesquelles vous condensez l’histoire de manière intime, vue de l’intérieur…
PS : C’est la magie étrange de la musique de film, c’est le souvenir, la rémanence. C’est ma plus grande angoisse, arriver à la rémanence avant la fin de la projection. J’espère toujours avoir quatre minutes pour m’exprimer, que soit dans un générique ou ailleurs. Doillon aime bien les génériques du début très court, il n’aime pas mettre de la musique sur le nom des financiers…
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CC : Le plan dans lequel Rodin touche la sculpture du visage et des mains de Camille trouve un écho plus tard dans l’exposition Claudel que visite Rodin, où il touche à nouveau les mains de Camille. Dans la première scène, il y a de la musique, pas dans la seconde, parce que tout à été dit dans la première scène, qui est très forte. Elle est magistrale, le souffle du violoncelle fait frissonner la sculpture.
PS : Oui, ce morceau de l’album est bien celui que l’on entend au cinéma. On effleure à peine les cordes du violoncelle pour obtenir cet effet. C’est une des scènes dans laquelle la musique se superpose à la voix de Rodin, c’est une scène magique, on donne l’impression que Camille est présente. Une vraie émotion.
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Rodin par Philippe Sarde
Durée : 31 minutes
- Auguste Rodin
- L’atelier
- Rose et Auguste
- La robe de chambre
- Victor Hugo et Balzac
- Chez Camille
- Dialogue avec le visage de Camille
- La cathédrale
- La porte de l’enfer