Synopsis : Alors qu’il rentre retrouver sa famille, un homme est accidentellement enseveli sous un tunnel, au volant de sa voiture. Pendant qu’une opération de sauvetage d’envergure nationale se met en place pour l’en sortir, scrutée et commentée par les médias, les politiques et les citoyens, l’homme joue sa survie avec les maigres moyens à sa disposition. Combien de temps tiendra-t-il ?
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Festival de Cannes, 2014. Hard Day, un thriller coup de poing mâtiné d’humour noir vient secouer la Quinzaine des Réalisateurs. Son auteur, Kim Seong-hun, est alors inconnu en Occident. Issu du « deuxième round » de la nouvelle vague coréenne, il entend faire partie de ces réalisateurs qui vous frappent par un cinéma de genre revisité, où la critique sociale n’est jamais loin. Il nous revient aujourd’hui avec un film catastrophe inhabituel, gros succès au box office coréen. Nous suivons le calvaire de Jung-soo, un « salaryman » générique brillamment interprété par Ha Jung-woo (superstar nationale récemment vue dans Mademoiselle de Park Chan-wook), coincé dans ce tunnel effondré, alors que s’organisent les secours à l’extérieur. Malgré une intrigue classique, Tunnel s’éloigne des canons du genre, si bien qu’on pourrait le qualifier d’anti-film catastrophe à bien des égards, notamment avec une dimension politique lourde de sens. En dehors de quelques scènes d’éboulement magnifiquement rythmées, le film fait preuve d’un minimalisme bienvenu et d’une économie d’effets spéciaux, se focalisant sur la gestion des ressources du survivant et par son exploration dans des espaces réduis avoisinant le véhicule. L’économie de moyens visuels renforce l’appréhension ; le sentiment de claustrophobie naît d’une dualité traversant le récit entre l’intérieur du tunnel et l’extérieur. Dualité par la photographie (couleurs froides du tunnel, lumière blafarde artificielle de la voiture s’opposant à la lumière naturelle et les dominantes blanches de l’extérieur). Mais aussi dualité dans l’accès aux ressources, avec une scène hautement symbolique lorsque l’épouse contemple son bap (bol de riz) tandis que le héros doit rationner des croquettes de chien.
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L’eau, par sa présence ou son absence, est au centre de l’attention. Les secouristes travaillent en effet sous des trombes de pluie alors que Jung-soo en est réduit à des extrémités pour se désaltérer. L’empathie est d’ailleurs renforcée. Kim Seong-hun a délibérément évité de donner un background à son héros, permettant ici une identification facilitée. L’immersion sonore est un autre point fort. En dehors de la bande originale classique de Mok Yeon-jin, venant souligner les émotions à l’écran (percussions pour les scènes de panique, piano lors des dialogues entre Jung-soo et sa femme), c’est le travail sur le silence qui apporte une tension presque palpable, et la manière dont ce silence est rompu : écho d’un klaxon, écoulement d’un filet de sable contre le pare-brise, annonciateur de danger. La tension est contrebalancée par des touches d’humour, apportées notamment par un curieux sidekick à mi-parcours. Si l’on rit parfois de bon cœur, on regrette aussi de ne pas être d’avantage malmené, mis sous pression.
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C’est dans son sous-texte politique que réside la plus grande réussite de Tunnel. Difficile de ne pas voir dans le personnage de la ministre opportuniste la figure de Park Geun-hye, présidente récemment destituée pour une affaire de corruption. Kim Seong-hun dénonce la course économique à la rentabilité menée par les chaebol, ces conglomérats coréens bénéficiant de largesses politiques, au détriment des normes de sécurité. Les médias sont également écornés, dans leur course au sensationnalisme et leur propension à faire d’une tragédie un feuilleton national. Le réalisateur dépeint un pays plus usé qu’il n’y parait, où même les infrastructures ont une obsolescence programmée. Une société confucéenne où une vie humaine est une quantité négligeable et où la volonté de survivre est vue comme égoïste car contraire à l’intérêt collectif. En ce sens, le personnage de Jung-soo (ironie du sort, il travaille pour le chaebol Kia motors) est le symbole du salam (personne) qui ose affirmer son individualisme, qui ose sortir du chemin tout tracé (du tunnel ?) imposé par la société. En cela, Tunnel de Kim Seong-hun est un film profondément humaniste.
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Paul Laborde
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- TUNNEL ( Teo-neol, 터널) écrit et réalisé par Kim Seong-hun en salles le 3 mai 2017.
- Avec : Ha Jung-woo, Donna Bae, Oh Dal-su, Kim Hae-sook, Park Hyuk-kwon, Nam Ji-hyun…
- Scénario : Kim Seong-hun, d’après le roman de So Jae-won
- Production: Lee Taek-dong, Kim A-ran, Billy Acumen
- Photographie: Kim Tae-Seong
- Montage: Kim Chang-ju
- Décors: Lee Hwo-kyoung
- Costumes: Chae Kyung-hwa
- Musique: Mok Yeong-jin
- Distribution: Version Originale / Condor
- Durée: 2h06
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