Résumé : Dès la naissance du cinématographe, l’extraterrestre s’impose comme un sujet d’inspiration propice à la découverte de créatures étranges et à l’exploration de contrées exotiques lointaines. Lorsque Georges Méliès réalise en 1902 Le Voyage dans la Lune, mettant en scène les “Sélénites”, des aliens loufoques, il rencontre un succès immédiat. Sans le savoir, le cinéaste magicien vient de s’improviser précurseur d’un genre qui, cent quinze ans plus tard, étonne et émerveille toujours. Grand ou petit, hostile ou amical, humanoïde ou polymorphe, réalisé en animatronique ou en images de synthèse, parfois à l’aspect humain, le visiteur de l’espace est devenu une figure incontournable du septième art. Capable de s’adapter à tous les genres filmiques et également à toutes les époques, il surprend et intrigue constamment. Porteur de message universel, ou monstre sans âme à la conquête du monde, il agit comme un formidable révélateur sociétal et individuel. L’extraterrestre met en avant les comportements de l’homme quand il se confronte au « différent » et dévoile en même temps les sentiments intimes et les peurs profondes qui sommeillent en chacun de nous.
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Them ! Le titre de la célèbre série B réalisée par Douglas Gordon pourrait résumer à lui seul la problématique développée par ces Extraterrestres au cinéma. Ce « Them« , ces « autres », ce peut être d’étranges créatures végétales débarquées sur notre planète pour voler notre apparence, un gentil alien nouant une indéfectible amitié avec un jeune terrien, des êtres supérieurs venus éclairer l’avenir de l’humanité, ou un peuple primitif porteur d’une culture pacifique et écologique. L’ensemble de ces personnages explique Stéphane Benaïm, docteur en esthétique, sciences et technologie des arts, pourrait être regroupé derrière la figure de l’Autre, notion clé de son ouvrage. La question de l’altérité permet à l’auteur d’inscrire son étude au coeur d’une approche politique, sociologique et historique, formulant la synthèse d’un corpus de films protéiformes. L’idée est audacieuse, Benaïm ne se limitant jamais au seul genre science-fictionnel (même si celui-ci prédomine logiquement). De fait, si l’histoire de l’extraterrestre au cinéma semble bel et bien débuter avec les Sélénites du célèbre Voyage dans la Lune de Georges Méliès (1902), l’auteur perçoit le film d’exploration du début du XXe siècle comme le véritable point d’origine de l’Autre cinématographique. Entre le peuple décrit par Robert Flaherty dans Nanouk l’Esquimau (1922) et les Na’vi d’Avatar (2009), un lien se tisse autour d’une passion commune pour les territoires de l’inconnu et de leurs habitants. Bien que l’explosion de la science fiction au cinéma s’enracine dans le contexte paranoïaque de la Guerre Froide, Benaïm rappelle avec raison que la décolonisation succédant à l’immédiat après-guerre a elle aussi joué un rôle crucial dans la popularisation de la figure de l’extraterrestre. Pour appuyer sa thèse, l’ouvrage multiplie les exemples, revenant sur les grands titres des années cinquante (La Guerre des Mondes de Byron Haskin ; Planète Interdite de Fred McLeod Wilcox), les caractéristiques d’une franchise (la saga Alien), d’une cinématographie (l’animation, de La Planète Sauvage à Lilo et Stitch), ou d’un sous-genre (le buddy movie, ou le film de super-héros auquel Benaïm consacre un chapitre entier).
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Féconde, l’étude attache autant d’importance aux incunables (Star Wars, Rencontres du Troisième Type, 2001, l’Odyssée de l’Espace) qu’aux oeuvres moins connues ou mésestimées (le soviétique Aelita, Lifeforce de Tobe Hooper, Immortel de Enki Bilal). Le recours à de nombreuses illustrations permet le développement d’instructives analogies entre cinéma et peinture (sont notamment convoqués les toiles surréalistes d’Ernst Fuchs, de Salvador Dalí, Le Jardin des délices de Jérôme Bosch, ou une eau-forte de Goya), mais aussi d’enrichir le propos à travers l’analyse de dessins préparatoires, d’affiches ou de plans en particulier.
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On peut cependant regretter que l’ouvrage ne s’attache presque qu’exclusivement au cinéma américain, laissant en marge certaines cinématographies pourtant prolixes en matière d’extraterrestres. Par ailleurs, si la partie consacrée à l’animation regorge de retours experts sur certaines techniques particulières (exemple de la technique du papier découpé, puis animé en phase, employée par René Laloux et Roland Topor pour La Planète Sauvage), les questions formelles sont trop souvent laissées en suspens. Des extraterrestres de Méliès à ceux de Premier Contact, il y a pourtant une distance porteuse de généalogies et de transformations propres à l’évolution technologique du médium cinematographique (des maquettes aux images de synthèse) qui aurait permis d’interroger plus concrètement la représentation de l’Autre au cinéma. On signale encore la présence de quelques coquilles ou erreurs : Le Parrain n’a pas été réalisé en 1977 mais en 1972, et Marlon Brando ne profitait déjà plus de la renommée du film de Coppola lorsqu’il accepta d’apparaître dans le Superman de Richard Donner. Ces manques n’enlèvent cependant pas grand chose à la qualité de l’ensemble porté par une écriture tout à la fois passionnée et passionnante.
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- LES EXTRATERRESTRES AU CINÉMA par Stéphane Benaïm disponible aux Éditions LettMotif, La Madeleine depuis mai 2017.
- 236 pages
- Versions papier, pdf et numérique : 11,90 € – 26 €