Résumé : Alors que l’accent a été mis sur les excés de fanatiques anticommunistes qui ont persécuté des communistes et de nombreux progressistes, durant la période 1950 – 54, communément appelée le Maccarthysme, ce livre cherche à montrer que la répression de la gauche américaine commence dès 1947 avec la décision des studios d’Hollywood de ne plus employer dix de leurs cinéastes communistes. C’est le début de la Liste Noire.
♥♥♥♥♥
Dans l’inconscient cinéphile, la formule « les dix d’Hollywood » renvoie à l’une des périodes les plus sombres de l’Histoire du cinéma américain, l’un de ces moments où le réel dépasse en horreur la plus sordide des fictions. Souvent mentionné dans les livres d’histoire, ce tragique épisode reste pourtant souvent mal compris, un écueil essentiellement dû à ses nombreux paradoxes. Comment un réalisateur au tempérament aussi progressif qu’Elia Kazan a-t-il pu accepter de se prêter au jeu des délateurs, conduisant certains de ses pairs à la marginalité, l’exil, l’incarcération ou même le suicide ? Comment une nation qui sut si bien résister aux sirènes des totalitarismes des années trente put ainsi sombrer dans une paranoïa primaire et haineuse ? Aujourd’hui encore ces questions restent en suspens, résonnant à travers les photographies d’archives, les images des films et les douloureux souvenirs des victimes. Introduite par une chronologie très précise, l’étude d’Élisabeth Chamorand, spécialiste de la civilisation américaine, cherche à résoudre ces nombreuses incompréhensions. Synthétique, sa recherche débute aux débuts des années trente et s’achève en 1974, année où la Guilde des acteurs décida d’abolir le serment de loyauté qui obligeait chaque acteur désireux d’appartenir à la puissante institution d’assurer de son intégrité politique. L’étude de ces quarante années permet de revenir sur les origines et les différentes étapes qui générèrent la violence de l’événement. Le contrecoup des avancées sociales du New Deal au cours de l’après-guerre, le développement des tensions entre les États-Unis et l’URSS, l’apparente nécessité de revenir aux spécificités d’une identité américaine constituèrent la toile de fond de cette période. Mais c’est bien l’étude du système hollywoodien qui permet de comprendre la rapidité phénoménale avec laquelle le maccarthysme a pu progresser au sein de l’industrie cinématographique.
.
De façon très précise, Chamorand décrit la montée en puissance des financiers à l’intérieur des grands studios, une évolution économique qui va de pair avec la mise en application du Production Code (code de censure) en 1934. Peu considérés par les producteurs, les scénaristes appelés en renfort après l’adoption définitive du parlant, prennent rapidement conscience de l’importance de former un syndicat. Les revendications des artisans de l’usine à rêves conduisent à des conflits plus ou moins virulents avec les dirigeants des majors. La traditionnelle opposition de l’art et de l’industrie semble alors se politiser. En explorant les déterminismes historiques de ces affrontements, l’auteure affirme la pertinence scientifique de son écrit.
.
On peut cependant regretter que l’aspect civilisationnel et artistique soit parfois délaissé au profit de la seule recension chronologique. Cet écueil, sans doute dû à la concision imposée par la collection, empêche de s’attarder sur l’évolution créatrice de la période. Une étude plus appuyée de l’évolution des scénarios écrits par les victimes de la chasse aux sorcières aurait pu ainsi être intéressante, de même qu’une analyse consacrée à des films en particulier (Sur les quais de Kazan, par exemple). Malgré ces manques, cette Liste Noire à Hollywood s’offre comme une introduction intéressante (et en langue française) pour qui aimerait se pencher plus longuement sur les différentes facettes de cette période (avant la lecture des incunables anglo-saxons, The Inquisition of Hollywood de Larry Ceplair et Steven Englund, en tête).
.
.
.
- LA LISTE NOIRE À HOLLYWOOD par Élisabeth Chamorand disponible aux éditions L’Harmattan, Collection « Pour Comprendre » depuis le mois de juin 2017.
- 118 pages
- 13,30 € (tarif éditeur) – 9,99 € (version numérique)