Résumé : Toni Servillo est un acteur total : il mène une double vie entre cinéma et théâtre, aussi épris de mise en scène que de son propre jeu. Le cinéaste Paolo Sorrentino au sujet de la star italienne : « Il me surprend à chaque scène. Son interprétation est toujours subtile et passe par de petites choses. » Ensemble, ils ont tourné plusieurs des plus grands succès cinématographiques de l’acteur, dont Il Divo, récompensé au Festival de Cannes en 2008 ou encore La Grande Bellezza, oscarisé Meilleur Film étranger en 2014. La carrière de Toni Servillo est jalonnée de rôles ancrés dans l’histoire de l’Italie, lui conférant une place centrale dans le cinéma italien actuel. Il a ainsi su se transformer, dans La Grande Bellezza, en Jep Gambardella, un écrivain dandy décadent au « cynisme sentimental » faisant écho au vieil anarchisme de droite des années 1950 ; en Giulio Andreotti, personnalité emblématique de la politique italienne dans Il Divo ; en ecclésiastique mystérieux et puissant dans Les Confessions… En 2018, Toni Servillo prendra les traits de l’incontournable Silvio Berlusconi dans le prochain film de Paolo Sorrentino, Loro. Depuis la fin de la « comédie à l’italienne », dans les années 1970, le public français a souvent enterré, à tort, le cinéma italien. Or voilà que renaît l’un de ses « monstres », qui en réactive la fonction originelle : montrer et avertir. Et que nous montre le monstre Servillo ?
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Depuis La Grande Bellezza (2013) de Paolo Sorrentino, le visage de Toni Servillo est devenu familier du public cinéphile. Ses premiers rôles au cinéma remontent pourtant au début des années quatre-vingt-dix pour une carrière riche de vingt-cinq longs métrages (dont Gomorra, Il Divo, Un balcon sur la mer, La Belle Endormie). Hélène Frappat, critique de cinéma, essayiste et romancière, revient sur le parcours généalogique de cet acteur marqué par le conditionnement social et politique de l’Italie contemporaine. Oscillant entre l’emphase littéraire et l’objectivité critique, l’écriture de Frappat se focalise sur la notion de « monstre » (perçu comme l’équivalent transalpin de la star hollywoodienne) pour décrire l’originalité stylistique, dramatique et physionomique de Servillo. Derrière le masque du pouvoir capitaliste sommeille la bestialité pulsionnelle d’un grotesque historique. Déchiffrant les strates de sens et d’images, l’auteure remonte à la décadence de l’Empire romain afin d’en analyser les supposées réminiscences actuelles. De Néron à Berlusconi (auquel Servillo prête ses traits dans le très attendu Loro), un même mal ronge la culture de la civilisation italienne, et partant européenne. Aux essences de la caverne platonique répondent les représentations hybrides et monstrueuses des grottes souterraines des jardins du Mont Oppius. Reconduisant cet art du palimpseste par le biais de collages associant aux photogrammes des inscriptions additionnelles, ce court essai propose d’intéressants parallèles (l’attitude actorale d’Isabelle Huppert contre celle de Servillo dans La Belle Endormie) et de nombreuses pistes de réflexion (la question de l’exportation stylistique hors des frontières italiennes, par exemple). On regrettera cependant que l’auteure n’ait que ponctuellement recours à l’exercice de l’analyse de séquence, particulièrement important et stimulant lorsque l’on s’intéresse au jeu de l’acteur. Bien que privé de bibliographie (un aspect d’autant plus dommageable que l’écriture de Frappat est particulièrement érudite), cet ouvrage parvient tout au long de son propos à maintenir l’équilibre entre la prose et l’expertise. À découvrir donc, à l’instar des films plus méconnus du génial Toni Servillo.
- TONI SERVILLO – NOUVEAU MONSTRE
- Auteure : Hélène Frappat
- Éditions : Séguier
- Date de parution : 3 mai 2018
- Format : 112 pages
- Tarif : 14,90 €