Résumé : Une ébauche de l’histoire du bruit au cinéma, évoquant également la photographie, les arts plastiques, voire la littérature.
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Parmi les (encore rares) études consacrées au son au cinéma, le court essai de Édouard Arnoldy, Professeur à l’Université Lille-Nord-de-France, occupera sans nul doute une place importante. Imaginé comme une réflexion en construction, l’écrit esquisse des hypothèses parfaitement circonscrites par chapitres et films. Du cinéma muet aux expérimentations audio-visuelles contemporaines en passant par les avant-gardes des années vingt et les modernes de la Nouvelle Vague, l’auteur propose une perspective intermédiale et iconologique hautement instructive. L’avènement du son au cinéma se voit en effet directement relié à l’intrusion des nouvelles sonorités propres à l’industrialisation du paysage occidental du XIXe siècle et que l’on retrouve dans certaines photographies et lithographies de l’époque. Passé au cinéma, ce bruit envahissant et dérangeant subira, à l’instar de l’image, la codification imposée par la dramaturgie classique. Il faut alors chercher chez certains réalisateurs et théoriciens les traces de ce cinéma qui, se refusant à calquer de façon homogène le réel, a choisi d’en interpréter les aspects les plus divers. Dans ce sens, la danse au café de Bande à part de Jean-Luc Godard, les dilatations et réminiscences sonores du Tempestaire de Jean Epstein, ou encore les répétitions poussives de Pièce touchée de Martin Arnold, supposent la mise en visibilité d’une création dont la qualité machinique n’enlève rien à la valeur sensible. De la même manière, les réflexions de Walter Benjamin, Theodor Ardorno, Siegfried Kracauer, Ricciotto Canudo, ou encore Robert Bresson, attestent d’une problématisation cruciale et nécessaire de ce bruit que le cinéma dominant ne saurait entendre. Comme l’in-vu, l’ « in-ouïe » devient un enjeu central pour ces « cinémas critiques » dont Arnoldy s’emploie à définir les caractéristiques au contact d’un corpus élargi. L’originalité de Bande à part s’éprouve ainsi par le biais du Tabou de Miguel Gomes, tandis que le film d’animation Silence rejoue à sa manière la subjectivité sonore expérimentée dans une célèbre séquence de Docteur Jerry et Mister Love. Dans cette relecture du cinéma bruyant, il convient de remarquer l’importance d’une recherche qui fait la part belle à certains passages méconnus de l’histoire cinématographique. Ainsi de cette phase de transition durant laquelle le cinéma américain cherchait à apprivoiser les innovations du son, sans pour autant tout abandonner de son passé mutique. Lonesome de Paul Fejos ou l’introduction de Love Me Tonight de Rouben Mamoulian attestent tous deux d’une préoccupation singulière pour la composition d’un capharnaüm à l’écran que Arnoldy n’oublie pas de relier à certaines œuvres musicales de l’époque (le Boléro de Ravel, par exemple). Assorti de nombreuses illustrations noir et blanc (mais sans bibliographie ni index), cet ouvrage saura par la cohérence et la densité de son fond convaincre les plus exigeants des cinéphiles.
- LE BRUIT ÉPROUVANT (AU CINÉMA)
- Auteur : Édouard Arnoldy
- Éditions : La Lettre Volée
- Collection : Essais
- Date de parution : 13 avril 2018
- Format : 80 pages
- Tarif : 16 €