Résumé : Isao Takahata est régulièrement considéré comme l’un des réalisateurs d’animation les plus hétéroclites de toute l’histoire du 7e art. Ne dessinant pas ses films, il confie cette tâche à des collaborateurs qui, d’un projet à l’autre, sont susceptibles de changer. La grande diversité graphique de son œuvre qui en résulte permet à Takahata de maintenir son statut de cinéaste inclassable. Sa volonté de s’approcher au mieux du réel par le dessin, en outre, l’éloigne considérablement des standards de l’animation. Cette approche du réel n’invalide pas pour autant la possibilité du fantastique, de l’onirisme et de la poésie – d’où le recours au dessin -, qui s’invitent régulièrement dans la vie et l’habitat quotidiens des personnages. Ces derniers voient ainsi frapper à leur porte la possibilité d’une nouvelle histoire, de la même façon que le spectateur voit son environnement pénétré par la magie de films qu’il n’est pas près d’oublier.
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Le numéro 63 de la revue Éclipses est toute entière consacrée à l’œuvre de Isao Takahata. Placé sous la direction de Roland Carrée, enseignant-chercheur en cinéma à l’ÉSAV Marrakech et docteur en cinéma de l’Université Rennes 2, cet ensemble propose une approche plurielle articulant biographie, esthétique, Histoire, et analyse thématique. À l’étude de l’ensemble de la filmographie de l’auteur (Hols, prince du soleil ; Pompoko ; Heidi ; Kié la petite peste ; Gauche le violoncelliste ; Souvenirs goutte à goutte ; Le Tombeau des lucioles ; Mes voisins les Yamada ; Le Conte de la princesse Kaguya…) répond un véritable engagement théorique visant une réflexion plus large concernant l’ontologie du cinéma d’animation. De la réflexivité d’une pratique analysée en profondeur par Gildas Jaffrenou au rapport constant entre envolée artistique et trivialité du sujet (la « poésie des testicules » décrite par Julien Cobos et Nicolas Cvetko à propos de Pompoko, ou celle, référentielle, se rattachant à une description précise du quotidien que Marion Poirson-Dechonne perçoit à travers les récits de Mes voisins les Yamada et de Une nuit d’automne épuise toute une mesure d’eau, l’ouvrage approfondit certains concepts (le sentiment de « mono no aware » que Nathalie Bittinger s’emploie à définir au contact du Conte de la princesse Kaguya) qui affirment la relation ténue entretenue par Takahata avec les traditions artistiques et plus largement culturelles de son pays. Si les problématiques temporelles creusent une réflexion depuis longtemps entamée, l’étude iconographique et dramaturgique de certaines figures (la mère, la fille, la grand-mère, et l’absence du père dont Myriam Villain tisse les nombreux liens à partir de Panda petit panda, Kié la petite peste, et du Conte de la princesse Kaguya), processus (transformation et incarnation), ou entités (la communauté entre solitude, rejet, et nécessité de fédérer le groupe humain) propres à Takahata contribuent à éclairer des pans moins connus de son univers. Ce plaisir de découverte prend une tournure plus personnelle encore grâce à l’entretien clôturant cet ensemble. Ilan Nguyên, maître de conférence à l’Université des Arts de Tokyo, et Xavier Kawa-Topor, historien, auteur, fondateur et initiateur du festival Nouvelles Images du Japon, reviennent sur leurs différentes rencontres avec le réalisateur, ainsi que sur leur travail mené depuis les années 1990 afin de faire découvrir ses films au public français. Ajoutons que la qualité de ces différentes contributions est renforcée par la présence de nombreuses illustrations noir et blanc qui assurent la cohérence de la perspective analytique inscrite au cœur de ce numéro. On regrettera néanmoins l’absence d’annexes réellement importantes qui auraient permis d’assurer encore un peu la consistance scientifique dont bénéficie le présent volume.
- ISAO TAKAHATA. LE RÉEL ANIMÉ
- Sous la direction de Roland Carrée
- Revue : Éclipses, n°63
- Date de parution : Décembre 2018
- Format : 156 pages
- Tarif : 15 €