Synopsis : Deux trentenaires perdus dans la foule parisienne, vivent côte à côte sans jamais se croiser. Deux destins parallèles, deux âmes isolées et mélancoliques qui vont apprendre à se connaitre elles-mêmes avant de se rencontrer pour de bon.
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Deux ans après avoir traité des liens familiaux au milieu des vignes bourguignonnes avec Ce qui nous lie, Cédric Klapisch retrouve deux de ses comédiens et nous propose une vision réaliste et désabusée des rapports amoureux dans la capitale, ville si chère au réalisateur. Il pose ici un regard plein de tendresse et de mélancolie sur une nouvelle génération Tinder, isolée et perdue, dans un Paris hyperconnecté. Le récit nous plonge d’emblée dans cette foule parisienne, enchaînant les séquences de métro surpeuplé, au rythme d’une musique rapide et entraînante, signée Loïk Dury et Christophe Minck, qui va trancher brutalement avec le silence et la solitude de Rémy (subtile et émouvant Francois Civil) et de Mélanie (fragile et touchante Ana Girardot). Il est insomniaque, elle dort trop. Dépressifs et traînant leur solitude dans les rues parisiennes dont la froideur est appuyée par la photographie d’Elodie Tahtane, les personnages évoluent tantôt en parallèle, tantôt dans le même cadre, essayant de trouver leur place dans une société déshumanisée. Ironie du sort, dans cette ville où les rencontres devraient se faire aussi facilement qu’un clic, les deux trentenaires ne font que se croiser pendant tout le film, empruntant les mêmes rues, errant dans les mêmes stations de métro, la même pharmacie, allant jusqu’à habiter dans des immeubles mitoyens. Cette structure narrative originale prend la forme d’une comédie romantique qui ne ressemble à aucune autre. Il s’agit du chemin de deux êtres vers l’acceptation et l’amour de soi, prélude indispensable à une réelle rencontre amoureuse.
Habitant en face d’une Gare du Nord en perpétuel mouvement, nos deux tourtereaux restent étonnamment seuls et désabusés. Les plans successifs du Sacré-Cœur, surplombant leurs immeubles de manière imposante et majestueuse, traduisent leur sentiment de solitude dans une métropole qui les dépasse. Rémy est choqué par la violence du monde du travail, dans lequel les salariés se voient remplacés par des robots, tout en étant désigné par un simple numéro de matricule. Comme l’illustrait Jacques Tati dans Playtime, les plans larges de l’immense open space ne font aussi que renforcer ce sentiment de déshumanisation. Dans cette société qui gère ses relations amoureuses comme on fait ses courses, à l’image de Mélanie qui choisit ses futures conquêtes sur son téléphone, Klapisch prône plus que jamais les liens réels, la chaleur humaine, la vie de quartier ; seul salut possible pour ces âmes esseulées.
Les personnages secondaires, qui sont très bien écrits, aident ce duo dans leur quête d’amour des autres et d’eux-mêmes. Simon Abkarian, clé évidente de leur solitude, est parfait dans le rôle du commerçant un brin mythomane. Alors que notre tandem est en plein questionnement, au coeur de cette petite épicerie, éclairée d’une lumière chaude et joyeuse, cet homme les appelle par leur prénom, connaît leurs habitudes. Ailleurs, la rencontre avec un félin -clin d’œil à Chacun cherche son chat– souligne la présence de ce lien invisible qui unit ces deux solitudes. Quant à Camille Cottin, elle est excellente dans le rôle de la psy un peu trop directe, «pour que les deux moi forment un nous, ils doivent d’abord être soi ». Cédric Klapsich porte ainsi un regard tendre et sensible sur ses personnages, et parvient à dépeindre le reflet d’une époque dans laquelle humanisme et romantisme sont peut-être encore possibles.
Laura Sztajnkrycer
- DEUX MOI
- Sortie salles : 11 septembre 2019
- Réalisation : Cédric Klapisch
- Avec : Ana Girardot, François Civil, François Berléand, Camille Cottin, Simon Abkarian, Pierre Niney, Eye Haïdara, Marie Bunel
- Scénario : Cédric Klapisch, Santiago Amigorena
- Production : Cédric Klapisch, Bruno Lévy
- Photographie : Elodie Tahtane
- Montage : Valentin Féron
- Décors : Anne Schotte
- Costumes : Clémentine Marchand
- Musique : Loïk Dury et Christophe Minck
- Distribution : StudioCanal
- Durée : 1h50