Résumé : Les séries ont tout changé : nos loisirs, nos vies, notre rapport à la culture. La « sériephilie » que ces grands récits du XXIe siècle suscitent le prouve : elles sont le coeur de la culture populaire aujourd’hui. Pour Sandra Laugier, fan parmi les fans, elles produisent également une philosophie nouvelle non pas une philosophie des séries, mais de véritables oeuvres de pensée. Aux ressorts traditionnels de la fiction (romans, films) -identification à des personnages, représentations du monde-, la série oppose l’attachement, le care qu’elle suscite chez le spectateur. Aux stéréotypes de genre, elle substitue nombre d’individus singuliers, souvent des héroïnes, aux prises avec les épreuves de la vie ordinaire. En lieu et place de morale traditionnelle, elle bâtit un répertoire de situations, d’expériences et de formes de vie ; elle élabore une compétence du spectateur. Les séries sont le lieu d’une nouvelle conversation démocratique, telle est la thèse radicale de ce livre-somme de Sandra Laugier, pionnière en philosophie de l’étude des séries et du care en France.
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Reprenant à son compte la phénoménologie du philosophe américain Stanley Cavell, Sandra Laugier, professeure de philosophie à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne et membre de l’Institut universitaire de France, propose une analyse originale de notre rapport aux séries télévisées. Celui-ci se construit selon une stratégie d’implication qui infiltrerait notre quotidien et recomposerait notre rapport au monde. Il y a donc une valeur utilitaire qui se rattacherait en propre à la dimension morale portée par la série télévisée, perçue par l’auteure comme l’objet culturel et populaire par excellence du XXIe siècle. Ce perfectionnisme, conjointement tributaire du transcendantalisme d’Emerson et de Thoreau et de la pensée épistémologique de Wittgenstein, s’incarne à travers la relation ténue et durable qui s’établit entre les personnages/acteurs du petit écran et le téléspectateur. Au-delà des prédicats dramaturgiques de la fiction sérielle, Laugier envisage la structure affective et la nature culturelle de la série télévisée comme propre à un interface producteur d’une philosophie du care, c’est-à -dire d’une prise en charge morale et pédagogique du public. Particulièrement convaincant, ce propos se développe tout au long d’une première partie à laquelle succède la publication de certaines chroniques rédigées par l’auteure pour Libération. Ces articles consacrés aux grandes séries contemporaines (de Buffy à The Americans en passant par House of Cards, Twin Peaks, Game of Thrones ou À la Maison-Blanche…) mais aussi à certains films permettent d’appréhender la pensée philosophique de l’auteure à la lumière d’exemples concrets. Les séries télévisées témoignent ici d’un esprit progressiste, non pas au sens politique du terme mais bien selon une acceptation morale qui nous (dés)oriente et nous conduit vers une compréhension accrue des autres, de notre environnement et de nous-mêmes. Servi par une argumentation claire et un référencement érudit, cet ouvrage permet d’ouvrir le champ d’expertise des études consacrées aux séries télévisées tout en nous incitant à réfléchir le statut d’images, de figures et de personnalités qui ne cessent de redéfinir nos modes de réception et d’interprétation quotidiens.
- NOS VIES EN SÉRIES
- Autrice : Sandra Laugier
- Éditions : Flammarion
- Collection : Climats
- Date de parution : 2 octobre 2019
- Format : 392 pages
- Tarif : 21 € (print) -14,99 € (numérique)