Synopsis : Espagne, été 1936. Le célèbre écrivain Miguel de Unamuno décide de soutenir publiquement la rébellion militaire avec la conviction qu’elle va rétablir l’ordre. Pendant ce temps, fort de ses succès militaires, le général Francisco Franco prend les rênes de l’insurrection. Alors que les incarcérations d’opposants se multiplient, Miguel de Unamuno se rend compte que l’ascension de Franco au pouvoir est devenue inéluctable.
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Quarante-cinq ans après la mort en Franco en 1975, l’Espagne continue d’exhumer les fantômes de près de quarante ans de dictature. Un thème investi par les films de Carlos Saura et leurs violences contenues, ceux de Manuel Gutiérrez Aragón, Fernando Arrabal, puis la nouvelle génération post-Movida, Almodóvar, Pablo Berger, Álex de la Iglesia… Cette année encore, certaines œuvres représentées aux Goyas témoignent d’une volonté chez les cinéastes ibériques de revenir sur le détail du régime fasciste le plus endurant de la Seconde Guerre mondiale. Aux côtés d’Une vie secrète (La Trinchera Infinita), narrant la peur de citoyens « taupes » vivant reclus dans la peur, figure le septième long-métrage d’Alejandro Amenábar, Lettre à Franco (Mientras dure la guerra). Un pan de l’Histoire à la reconstitution pointilleuse, servi par de belles performances. Mené du scénario à la production par le réalisateur hispano-chilien, qui a également composé la musique du film, le métrage s’ancre au cœur de l’année 1936 où débute la guerre civile qui durera quatre ans. Ce choix précis n’a rien d’anodin, et lui permet de montrer les failles d’un franquisme hésitant, loin de faire l’unanimité. Tandis qu’éclate le conflit sanglant entre nationalistes et républicains, nourri par les divisions sociales d’une Espagne en crise, l’éminent écrivain Miguel de Unamuno (Karra Elejalde) se cramponne à ses convictions et soutient le coup d’état du Général Francisco Franco (Santi Prego) à la tête de l’insurrection, espérant un retour à l’ordre rapide. Un déni de courte durée, car une fois réhabilité, le recteur de l’université de Salamanque se voit bientôt chargé d’appliquer le « Manifeste d’épuration » en vigueur, alors que disparaissent certains habitants.
À travers le portrait croisé de l’auteur basque conciliant qui ouvre les yeux sur la véritable nature du nationalisme, et du Galicien qui peine encore à trouver son style de chef de file, Lettre à Franco dresse nombre de paradoxes de cette sombre époque qui tendent à interpeller sur la résurgence actuelle de l’extrême droite. Des contradictions que mettent en lumière le titre original, et son pendant français. En portant la lettre de l’épouse de son ami incarcéré directement dans les mains du leader, Unamuno espère, comme avec ses textes insurgés, qu’il parviendra à lui faire entendre raison.
S’il accomplit sa mission, il échoue, se heurtant à la surdité du fascisme. Le courrier étant vain avant-même d’être écrit. La phrase « Mientras que dure la guerra » (Pendant que dure la guerre) attribuée à Franco résume sa philosophie ; faire durer l’affrontement quitte à risquer de vaciller, pour mettre en place son dessein, et s’imposer comme Caudillo, le « chevalier chrétien » d’une « Espagne en paix » – silencieuse – et catholique. Le but n’est pas tant de gagner la guerre, que de l’utiliser à bon escient.
Aussi, le film disserte longuement sur la valeur du discours, le poids des mots. Que ce soit un débat politique se perdant en bruits dans l’arrière-pays, des excuses qui ont trop tardé et ne pourront jamais être entendues, la crainte du « faux-pas » qui obsède Franco, l’absurdité du slogan oxymorique « Viva la muerte » (Vive la mort), ou encore les propos désormais célèbres que l’universitaire prononce devant un amphithéâtre de jeunes franquistes, leur criant « vous vaincrez, mais vous ne convaincrez pas », Amenábar joue sur le sens de la formule.
En optant pour la figure d’Unamo, il en appelle également à la responsabilité des intellectuels, ceux qui peuvent – et doivent – prendre la parole pour opposer une pensée rationnelle à la folie fascisante. Parler ou se taire face à l’oppression, quel que soit le choix de protagonistes, le réalisateur des Autres rappelle que la peur domine le tout. Elle est curieusement ce qui relie l’ensemble des personnages. Peur du désordre, de la contradiction, du déshonneur ou de la mort, des penseurs républicains à l’élite franquiste, la guerre cristallise les doutes et confronte les idées.
Mais dans son effort appliqué pour tirer des leçons universelles de séquences clés joliment mises en scène, Amenábar ne fait malheureusement qu’énoncer des constats, sans prendre le temps de les illustrer, et de servir son propos par autre chose que du témoignage. Attendu au tournant, il remplit pleinement le cahier des charges rigoureux du film historique vraisemblable, sans provoquer le même frisson dramatique qu’avec l’excellent Agora.
Le sens de la composition, notamment des jeux de lumière, dont fait preuve le cinéaste lui permet de proposer une lecture du franquisme intéressante, qui méritait d’être développée. Il innove dans la représentation – encore rare sur grand écran – d’un Franco taiseux, faussement vulnérable, contemplatif, à l’opposé des parades publiques habitées du dictateur. Le trio d’acteurs Karra Elejalde, Santi Prego et Eduard Fernández (La piel que habito, L’homme aux mille visages) porte le film, qui justifie ses récompenses en direction artistique et costumes.
Tout comme la tentative restée infructueuse de son personnage central, Lettre à Franco a le mérite de dire avec justesse ce qui devait être dit. À défaut de constituer une pièce maîtresse de la filmographie d’Alejandro Amenábar, l’incursion du scénariste dans le cinéma post-franquisme est réussie, et participe d’un décryptage nécessaire qui doit se poursuivre, à l’écran comme ailleurs.
- LETTRE À FRANCO (Mientras dure la guerra)
- Sortie salles : 19 février 2020
- Réalisation : Alejandro Amenábar
- Avec : Miguel de Unamuno, Eduard Fernández, Santi Prego, Patricia López Arnaiz, Inma Cuevas, Carlos Serrano-Clark, Luis Zahera, Tito Valverde….
- Scénario : Alejandro Amenábar, Alejandro Hernández
- Production : Domingo Corral, Hugo Sigman, Alejandro Amenábar
- Photographie : Alex Catalán
- Décors : Angela Nahum, Juan Pedro De Gaspar
- Costumes : Sonia Grande
- Musique : Alejandro Amenábar
- Distribution : Haut et Court
- Durée : 1h47