Roman / Ted de Pierre Rehov : critique

Publié par Jacques Demange le 8 février 2020

Résumé : 24 janvier 1989. Coupable de plus de cent viols, tortures et meurtres de jeunes femmes, Ted Bundy doit être exécuté à l’aube sur la chaise électrique. Lors de sa dernière confession, les souvenirs lui reviennent et les questions l’assaillent. Est-il un monstre, un psychopathe ou un être possédé, en quête de vengeance ? Et si cet instinct sadique et les abominations qu’il a commises trouvaient leurs racines dans une autre époque, au-delà de toute explication rationnelle ? Des Goulags glacés de Sibérie à la moiteur étouffante de la Floride, ce roman au suspense haletant nous transporte derrière les coulisses de l’Histoire, là où la monstruosité règne en maître.

♥♥♥♥♥

 

Ted - Pierre Rehov

Ted – Pierre Rehov

En 1948, l’essayiste américain Robert Warshow publiait un texte intitulé The Gangster as a Tragic Heroe, dans lequel il décrivait l’étrange engouement suscité par la figure du gangster de fiction au sein de la société. Les temps ont changé et cette fascination mêlant attraction et répulsion semble s’être déporté du côté d’une autre figure tapie dans l’ombre des mythes urbains. De Psychose à la franchise des Hannibal Lecter en passant par Copycat et Zodiac, le tueur en série a su évoluer et s’adapter aux nouveaux codes, pour continuer à incarner l’une des principales figures du thriller et du cinéma d’horreur. Récemment, le(s) petit(s) écran(s) ont encore amplifié ce phénomène. Les séries Dexter et Mindhunter, ou les portraits documentaires de Inside the Criminal Mind ont prouvé que le tueur en série avait encore de beaux jours devant lui et pouvait prendre la forme d’un prisme apte à réfléchir nos comportements contemporains. Il n’est en ce sens pas étonnant que l’expert en psychopathologie du terrorisme suicide, Pierre Rehov, à la fois connu pour son activité de romancier (Les chemins d’Amérique ; Cellules blanches ; Tu seras si jolie) et de réalisateur de documentaires (Suicide Killers ; Les réfugiés du silence ; Derrière le rideau de fumée), en soit venu à la figure de Ted Bundy. Le « Lady Killer », mort sur la chaise électrique en 1989, est récemment revenu sur le devant de la scène. Le documentaire que lui a consacré l’émission « Portraits de criminels » diffusée sur RMC Story et le film Extremely Wicked, Schockingly Evil and Vile (Joe Berlinger, 2019) ont fait de lui la nouvelle icône de l’horreur made in US, aux côtés de Charles Manson et John Wayne Gacy.

 

Le parcours de Bundy flairait donc le bon coup, s’accommodant facilement aux règles du roman policier tout en profitant d’un éclairage médiatique et d’une toile de fond propice au sensationnel. Entre cavités du corps et tréfonds de l’esprit, Rehov suit d’abord le cheminement tracé par son sujet, recourant à un ton sobre, presque journalistique, pour résumer les dernières heures du tueur dans un pénitencier de Floride.

 

Mais l’intérêt du roman est ailleurs. Car l’auteur a choisit de structurer son récit selon un saisissant montage parallèle. Le contrechamp de Bundy se situe dans l’URSS du début des années trente. D’un chapitre à l’autre, le lecteur se voit ainsi inviter à traverser l’espace et le temps. Ce geste de rupture est parfaitement réfléchi par Rehov qui développe une réflexion métaphorique et souterrainement comparative. De la brutalité des meurtres de Bundy à l’horreur des goulags, se tisse une série de connections esquissant le portrait composite d’un tyran agissant sous le couvert d’une moralité, spirituelle et politique, nauséabonde.

 

L’originalité de l’approche se révèle donc convaincante mais n’a pu faire l’impasse sur son principal écueil. Car ce que ce découpage laisse ponctuellement entrevoir c’est la disparité du style de l’auteur. Volontiers disert, parfois même poétique, lorsqu’il s’agit d’évoquer la condition de ses héros russes, Rehov perd de sa superbe au cours des passages consacrés à Bundy qui finissent par se réduire à peau de chagrin. On serait tenté de penser que cette histoire de serial killer n’est finalement qu’une caution, un moyen de faire passer en contrebande la description poignante d’une criminalité moins anecdotique et plus fondamentale. Mais ce serait mésestimer cette petite audace qui vaut que l’on s’intéresse à ce roman qui parvient à briguer un peu d’insolite dans un type de récit généralement dévolu au déjà-vu.

 

 

 

  • TED
  • Auteur : Pierre Rehov
  • Éditions : La mécanique générale
  • Date de parution : 30 janvier 2020
  • Langues : Français uniquement
  • Format : 475 pages
  • Tarif : 9,90 €

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