Résumé : Roland Jaccard raffole des cinéphiles, l’étant lui-même jusqu’au bout des ongles. Le problème est qu’il aime encore plus John Wayne, l’homme à abattre, jugé coupable de nombreux crimes par les petits censeurs de la bien-pensance anti-Trump. Réac, raciste, génocidaire… on ne compte plus les coups bas que dirige en permanence la charge de la grosse cavalerie idéologique contre le dernier des géants. Heureusement Roland Jaccard dégaine plus vite qu’eux et ne rate jamais sa cible. Et c’est une belle leçon de western -transposé à notre époque démissionnaire- qu’il va leur donner : celle qui sonne tôt ou tard le cinglant retour à la réalité et au savoir-vivre. On retrouvera ici toute l’insolence et l’acuité inimitables de Roland Jaccard.
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Il y a des acteurs qui semblent nous accompagner toute notre vie. Ce n’est pas un de leur rôle ou un de leur film qui nous marque en particulier mais une posture, une attitude, un discours, un ensemble de valeurs qui se confondent pour toujours avec leur représentation à l’écran. Gary Cooper, Henry Fonda, James Stewart sont de ceux-là, mais aussi John Wayne. En France, le « Duke » souffre pourtant d’une terrible réputation. Ses réalisateurs fétiches, John Ford et Howard Hawks en tête, ont bien cherché à le dédouaner, mais rien n’y fait : Wayne reste pour beaucoup le héraut d’une Amérique réactionnaire, brutale et raciste. Pour Roland Jaccard, psychologue et écrivain, Wayne est un modèle et une ombre qui lui permet de délivrer son écriture de tous les aprioris imposés par l’intelligentsia intellectuelle de notre époque. Car avouer son amour pour John Wayne c’est faire un pied de nez à la critique bien-pensante et reconnaître l’importance des émotions les plus simples. Grand admirateur de Cioran, Jaccard se montre expert dans l’art de la provocation. À travers l’histoire personnelle de l’acteur (de ses mariages ratés à ses déclarations politiques nauséabondes en passant par la noblesse de son comportement durant le maccarthysme), c’est l’individu Jaccard qui prend la parole et se dévoile à demi-couvert… au risque, ou plutôt au plaisir, de choquer son lectorat. Avis tranchés et second degré dominent donc ici avec en filigrane le spectre de Wayne qui ne cesse de hanter nos écarts contemporains. Westerns ratés (Les Frères Sisters qualifié de « calamiteux », Hostiles de « navet pompeux »), triomphe de Trump, phénomène de délation à l’ère des réseaux sociaux subissent le jugement de la droiture waynienne. Comme son héros, l’auteur assume une fidélité à des valeurs toutes relatives qui frôle souvent la mauvaise foi. Question de croyance dira-t-on, même si l’on se souvient que la mythologie de Wayne fut poussée dans ses retranchements dès la fin des années 1940 avec l’admirable La Rivière rouge dans lequel l’acteur interprétait un rancher tyrannique sombrant progressivement dans une folie meurtrière. Car si Jaccard se laisse aller au délice de la désinvolture, celle-ci prend parfois la forme d’un égarement qui aboutit à une impasse. Que penser alors de cet essai pas comme les autres ? Les fanatiques de Wayne n’apprendront pas grand chose, les critiques et théoriciens se sentiront sans doute froisser, et les cinéphiles peut-être intrigués. Reste la sympathie naturelle que l’on peut avoir pour un ouvrage qui n’hésite pas à lancer moult pavés dans la mare. Gare aux éclaboussures donc.
- JOHN WAYNE N’EST PAS MORT
- Auteur : Roland Jaccard
- Éditions : Pierre-Guillaume de Roux
- Date de parution : 12 septembre 2019
- Format : 80 pages
- Tarif : 15 €