Blu-ray / La Rumeur de William Wyler : critique

Publié par Jacques Demange le 24 juin 2020

Synopsis : Deux amies, Karen Wright et Martha Dobie, dirigent une institution pour jeunes filles dans une petite ville de province. Alors qu’elle est punie, une élève insolente lance la rumeur qu’elles sont amantes…

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La rumeur - jaquette Wild Side

La rumeur – jaquette Wild Side

Si William Wyler est aujourd’hui un cinéaste canonisé par la cinéphilie institutionnelle, il est important de signaler que la réception critique de son Å“uvre n’a pas toujours bénéficié de cette unanimité. L’entrée que lui consacrent Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier dans leur 50 ans de cinéma américain résume assez bien la défiance d’une large frange de la critique spécialisée à son endroit, décrivant son style comme « anémique et atrophié » et traversé par une « étouffante atmosphère de studio ». Il est vrai que la filmographie du cinéaste, à la fois profuse et éclectique, ne se laisse pas appréhender facilement et incite à recourir aux raccourcis. Quels rapports peut-on par exemple tisser entre le mélodrame La Tourmente (1930) et le péplum Ben-Hur (1959), entre le récit intimiste des Plus Belles Années de notre vie (1946) et la comédie romantique Vacances romaines (1953) ? On évoquera alors l’aptitude de l’artisan à s’effacer derrière les codes des genres, poursuivant sa carrière avec une régularité besogneuse qui permet, ponctuellement, la présence de certains éclats. Et pourtant, on devine chez Wyler une cohérence, moins thématique que stylistique, qui permet de confondre l’évolution de son Å“uvre avec celle de l’industrie hollywoodienne. En ce sens, La Rumeur dont la maison Wilde Side propose une belle réédition en coffret Blu-ray, se présente comme une Å“uvre de transition, marquant le basculement du cinéaste et d’Hollywood dans l’époque bruyante et désinhibée des années 1960. Le film porte d’abord en lui les traces du classicisme dont Wyler s’était fait le chantre : un espace extrêmement réduit qui favorise le recours aux décors de studio et la présence d’un sujet fort apte au développement d’une leçon de morale (la tolérance). Et c’est justement ce dernier qui permet au réalisateur de creuser les enjeux de sa mise en scène. 

 

 

Adapté de la pièce de Lillian Hellman (qui avait déjà collaboré avec Wyler à quatre reprises en qualité de scénariste), le récit se propose de déjouer de façon subtile les frontières trompeuses du manichéisme. Entre innocence et culpabilité, délation et aveu, un parallèle s’établit entre la condition des jeunes pensionnaires et celle de leurs enseignantes. En adoptant une posture indirecte et souterraine, le film fustige la bêtise et l’hypocrisie de l’Amérique tranquille, assigne avec précision les rôles pour mieux les redistribuer ensuite. Il est alors utile de rappeler que Wyler connaissait bien ce récit pour l’avoir adapté une première fois en 1936 (sous le titre Ils étaient trois). 

 

À l’époque, le code de censure avait obligé à réviser le propos de la pièce pour lui faire prendre la forme d’un sage triangle amoureux. Le retour du sulfureux assure dans la version de 1961 l’apparition d’un sous-texte psychanalytique dont il faut louer la grande subtilité et l’absence de lourdeur. Il n’y a pas ici de point de rupture à proprement parler, mais une langueur qui se durcit sur la durée.

 

 

Progressivement, l’exposition s’opacifie, l’élégance du travelling est fracturé par la violence du jump cut, et l’éclairage hig key abandonne sa monotonie pour être troué par l’ombre de la tragédie. Ce développement insolite se transmet par l’habituel outillage de Wyler. La profondeur de champ insiste sur la complexité du rapport entre les personnages, la distance spatiale supposant la création d’un lien dissimulé, entre transfert, projection et refoulement. De la même manière, le plan long et le refus du découpage systématique lors des scènes de dialogues confèrent au langage du corps une fonction cathartique.

 

La montée graduelle de la tension se transmet en effet moins par le texte que par les déplacements, les gestes et les attitudes des interprètes. Là encore, la chose repose sur l’idée d’une progression. Entre le jeu rentré de Shirley MacLaine et celui, plein d’emphase, de Miriam Hopkins, Audrey Hepburn assure la nuance. Ses grands yeux noisette et son visage famélique condensent la fragilité sentimentale décrite par le film et soulignent l’éclectisme de l’actrice alors auréolée de sa nomination aux Oscars pour son interprétation dans Diamants sur canapé.

 

La rumeur - Wild Side

La rumeur – Wild Side

 

Côté Blu-ray, Wilde Side propose une édition particulièrement soignée, tant du point de l’image que du son. En bonus, la présence d’un livret richement illustré signé par Frédéric Albert Lévy, journaliste et cofondateur de la revue Starfix, ainsi que différents entretiens. Parmi ceux-ci, le témoignage de l’actrice Veronica Catwright se révèle assez intéressant. Il permet d’abord d’offrir un regard de l’intérieur sur le tournage du film et de souligner les particularités et mérites de la direction d’acteur de Wyler. Mais par ailleurs, cette conversation permet de préciser la fonction et le statut trop peu souvent étudiés des enfants acteurs à Hollywood.

 

Ce que nous offre cette sortie en définitive tient à la possibilité de découvrir en Wyler un authentique petit maître de studio. Quatre ans avant le choc suscité par la sortie de L’Obsédé (qui réconcilia le temps d’un film les opposants et les partisans de son cinéma), La Rumeur annonce la possibilité d’une métamorphose. Il y a quelque chose de pourri, sinon de dérangeant, dans l’enceinte de l’usine à rêves. Les décennies suivantes contribueront à le prouver.

 

 

 

  • LA RUMEUR (The Children’s Hour)
  • Sortie Blu-ray : 24 juin 2020
  • Format / Produit : Coffret DVD/Blu-ray + Livret, Master restauré
  • Réalisation : William Wyler
  • Avec : Audrey Hepburn, Shirley MacLaine, James Garner, Miriam Hopkins, Fay Bainter, Karen Balkin, Veronica Cartwright…
  • Scénario : John Michael Hayes, d’après la pièce de Lillian Hellman
  • Production : William Wyler
  • Photographie : Frank F. Planer
  • Montage : Robert Swink
  • Décors : Edward G. Boyle
  • Costume : Dorothy Jeakins
  • Musique : Alex North
  • Édition vidéo : Wild Side Video
  • Tarif : 29,99 €
  • Durée : 1h48
  • Sortie initiale : 19 décembre 1961 (États-Unis) – 25 avril 1962 (France)

 

 

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