Synopsis : Le destin de deux frères jumeaux, Dominick et Thomas Birdsey, dans l’Amérique de la seconde moitié du XXème siècle.
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Adepte des fictions mélancoliques ancrées dans un réel empoignant, Derek Cianfrance, le réalisateur et scénariste des remarqués The Place Beyond The Pines et Blue Valentine investit le petit écran avec l’adaptation du roman de Wally Lamb, I Know This Much Is True (La Puissance des vaincus), paru en 1998. Cette production HBO de six épisodes, diffusée depuis le 11 mai dernier sur OCS met à l’honneur Mark Ruffalo dans un double rôle, celui des frères jumeaux Dominick et Thomas Birdsey, qui héritent d’un lourd passé familial au début des années 1990, dans la ville fictive de Three Rivers, inspirée du Connecticut natal de son auteur. Dès son introduction, la série se fait prenante par sa réalisation pointilleuse qui empreinte au genre romanesque et restitue le malaise lancinant qui pèse sur les personnages. Dominick, qui doit composer avec sa solitude et la paranoïa aiguë de son frère Thomas, se met en tête de faire traduire les mémoires de son grand-père, immigré sicilien du début du XXe siècle dont il porte le prénom, pour les offrir à sa mère souffrante, Concettina Tempesta Birdsey (Melissa Leo). Seulement, Nedra Frank (Juliette Lewis), l’universitaire chargée de la traduction, disparaît avec le texte après lui avoir fait part de l’obscure personnalité de son aïeul. Les événements dramatiques s’enchaînent pour Dominick lorsque son jumeau se tranche la main. Les deux héros semblent englués dans une poisse endurante, une mystérieuse fatalité jalonne leur existence.
La trajectoire proposée par le premier épisode met en place un rythme lent, délicat, avec une trame épurée, qui plonge le spectateur au cÅ“ur d’une atmosphère enivrante de thriller naturaliste, à la fois monotone et profond. L’impression magnétique qui s’en dégage rappelle le style de Terrence Malick, cinéaste dont l’influence s’est parfois fait ressentir chez Cianfrance. Le tout porté par la présence de Mark Ruffalo, qui livre une performance édifiante dans la peau de deux personnages intrinsèquement liés, et pourtant radicalement différents.
Dans la foulée de Dark Waters, l’acteur à l’origine du projet dévoile encore davantage l’étendue de son talent dramatique, dans un jeu mesuré, sans fioritures mais d’une justesse et d’une puissance qui suscitent une empathie naturelle pour les figures qu’il incarne. Ici, deux frères dont on oublie totalement qu’ils ont le même interprète. Un atout de taille qui mène le récit, centré sur le point de vue de Dominick et son introspection.
Après une entrée en matière soignée, qui donne envie d’en savoir plus sur les secrets de famille des Birdsey-Tempesta, l’intrigue dérive vers des contrées familières pour les amateurs du cinéma de Cianfrance. La quête identitaire de Dominick laisse place à une alternance narrative entre le présent, où le personnage s’étoffe, mis en parallèle avec ses souvenirs, narrés par ce dernier en voix-off. Tandis qu’il se démène pour sauver son frère interné après qu’il s’est mutilé, leur enfance rejaillit. La violence de leur beau-père, puis leur adolescence en pleine Guerre du Vietnam, leurs rapports fraternels à l’épreuve des troubles de Thomas, la relation meurtrie de Dominick avec son ex-compagne Dessa (Kathryn Hahn).
Autant de pièces d’un puzzle complexe, dont les conséquences se répercutent sur la vie des protagonistes. Ces aléas contemplatifs forment un tissu de liens entre les personnages, familiaux, amoureux, conflictuels, chargés d’affect, semblables à ceux que le réalisateur aime explorer. Dans son succès de 2013, The Place Beyond The Pines, Cianfrance s’appuyait sur le principe de l’effet papillon pour broder un scénario où les destins de différents héros s’entremêlaient sur quinze ans.
I Know This Much Is True comporte cette notion d’hérédité chère au scénariste, où ce qui résulte des actes des uns se transmet aux autres, sur plusieurs générations. La clé étant le manuscrit de l’odieux grand-père, Domenico, qui vient clore le ressassement dans le sixième et ultime épisode, et ramène l’histoire à ses racines. Des origines montrées par de nouveaux flashback qui complètent le tableau transgénérationnel brossé en rétrospective depuis 1990, rejoignant l’Histoire des États-Unis, ses vagues migratoires, et le conflit stérile qui s’établit entre minorités opprimées, en l’occurrence Amérindiens et Italiens.
Mais pas question de laisser l’ancêtre de Dominick imposer son terrible point final à ses descendants « maudits » par ses choix. Le livre comme la série ne basculent pas dans la psychose horrifique d’Ari Aster (Hérédité). L’individu l’emporte sur le groupe, et le choix sur le concept de destin, qui se trouve questionné, confronté au réel et finit par contrecarrer dans un rebond lumineux la spirale pessimiste initiée par le récit. Un beau message qui invite au lâcher-prise.
Avec une base narrative qui brasse nombre de ses leitmotivs, Derek Cianfrance fait de son adaptation de l’œuvre de Wally Lamb une brillante incursion dans l’univers du petit écran. L’écriture savamment dosée, le bon usage du format long des épisodes et l’implication de Mark Ruffalo en moteur de l’intrigue, offrent une envergure à cette fresque sur le temps qui passe. I Know This Much Is True rend hommage à la hantise universelle de l’accomplissement qui habite chacun d’entre nous, et préoccupait déjà nos prédécesseurs.
En écho à l’amour fraternel qui unis les héros, Cianfrance et Ruffalo – qui opte depuis quelques temps pour des choix de carrière qui l’inspirent personnellement – dédient la série à leur sÅ“ur et frère respectifs, tous deux disparus récemment. Une réussite qui laisse espérer que plus de grands cinéastes s’essayent à la télévision.
- I KNOW THIS MUCH IS TRUE
- Diffusion : depuis le 10 mai 2020
- Plateforme / Chaîne : HBO et OCS (US+24), disponible en replay
- Création : Derek Cianfrance d’après l’œuvre de Wally Lamb
- Réalisation : Derek Cianfrance
- Avec : Mark Ruffalo, Melissa Leo, John Procaccino, Rob Huebel, Michael Greyeyes, Juliette Lewis, Kathryn Hahn, Archie Panjabi, Imogen Poots…
- 6 épisodes de 55 minutes