Résumé : 1975. Louis Malle vient de réaliser Black Moon, un conte onirique, tourné dans le sud-ouest de la France. Le film est audacieux, mais le réalisateur s’ennuie. Peur de s’installer dans une routine qu’il exècre. Malle a déjà une quinzaine de longs métrages à son actif, il est temps de passer à autre chose, d’aller chercher l’inspiration dans d’autres contrées. Entre 1977 et 1986, avec une coda pour son ultime film en 1994, Louis Malle fera des Etats-Unis la terre de ses explorations. A travers huit longs métrages, il dressera du pays un portrait inédit, explorant plusieurs thèmes (les migrations, la question raciale, le rapport au temps et au travail, le rituel, la morale, la gentrification) et plusieurs formes cinématographiques, entre fiction, documentaire, théâtre, polar, western et comédie ; Hollywood et cinéma indépendant. Dépeignant une galerie de personnages justes et sensibles, les films américains de Malle rendent compte d’un regard singulier et souvent visionnaire sur le pays, dialoguant avec les sciences sociales et l’anthropologie et toujours prêt à remettre en question les préjugés et les théories à l’emporte-pièce.
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C’est avec un ton libre et convaincant que Pauline Guedj, anthropologue et journaliste, nous entraîne à sa suite sur les routes prises par Louis Malle à travers l’Amérique. À partir de nombreux entretiens avec des proches et collaborateurs de création du réalisateur (Jean-Claude Carrière, John Guare, Jean-Claude Laureux, France Lachapelle…) et le recours aux fonds Louis Malle de la Cinémathèque française, l’auteure a choisi d’aborder, chapitre par chapitre, la singularité de chacune de ses productions américaines. Ces références assurent à l’écrit une certaine objectivité ainsi qu’un regard plus profond sur l’approche de Malle. Mais c’est bien par sa propre perspective de chercheuse que Guedj assure la réussite de son entreprise. En optant pour la forme du récit de voyage, l’auteure retrouve quelque chose du tempérament nomade du cinéaste qu’elle cerne tout à fait dès son premier chapitre à travers la description de l’ouragan Katrina et de ses conséquences sur les quartiers et la population afro-américaine de la Nouvelle-Orléans. Au-delà de la seule catastrophe climatique, Guedj perçoit ici la persistance d’une identité américaine fondée sur un rapport extérieur avec la wilderness et un lien fracturé entre ses habitants. Un fantasme de liberté qui se confronte sans cesse avec la brutalité d’une réalité qui ne cesse de briser l’utopie d’une unité jamais acquise.
Si Malle réfléchit et filme à la manière d’un anthropologue, ce n’est jamais dans l’esprit de théoriser son objet d’étude mais toujours d’une façon instinctive. Pretty Baby, Atlantic City, My Dinner with André, Alamo Bay, God’s Country, … And The Pursuit of Happiness, Vanya on 42nd Street affirment communément cette volonté de déconstruire la tradition des catégories établies. Entre documentaire et fiction, travail marqué de la mise en scène et sobriété scénographique, Malle trace un sillon apte à recueillir la singularité des individus et des thématiques rencontrés au fil de son parcours américain.
L’intelligence de l’ouvrage est de refuser l’analyse synchronique des productions pour privilégier une approche diachronique. La pensée de Guedj est mouvante s’attachant aux lieux filmés par Malle qu’elle (re)découvrir par son propre cheminement de chercheuse. Le sujet est pris à bras le corps, c’est-à-dire que la structure de l’étude se calque sur le cheminement de son objet. Comme Malle, l’auteure prend la route et fait de chaque rencontre, de chaque événement la possibilité d’approfondir les idées qui animent la filmographie américaine du cinéaste français. La lecture de Zéropolis de Bruce Bégout consacré à Las Vegas, une discussion avec Woody Battaglia, podcasteur fanatique de My Dinner with André, l’écoute d’une émission du Masque et la Plume consacrée à ce même film, ou une marche sur le carrefour de Time Square s’offrent comme des tremplins pour décrypter les productions de Malle à la lumière de nombreuses citations tirées des sources susmentionnées.
Quelques regrets subsistent cependant concernant l’absence de toute bibliographie, ne serait-ce qu’indicative, ainsi que celle d’illustrations. La qualité d’écriture de Guedj convoquait en effet la présence de photographies de ces espaces parcourus. Manière supplémentaire de compléter ce bel hommage à l’identité américaine du cinéma de Louis Malle.
- LOUIS MALLE. REGARDS SUR L’AMÉRIQUE
- Autrice : Pauline Guedj
- Éditions : Ovadia
- Collection : Atmosphère
- Date de parution : 30 octobre 2020
- Langues : Français uniquement
- Format : 212 pages
- Tarifs : 20 €