Synopsis : En Arkansas, pendant la Grande Dépression, Bertha Thompson assiste à la mort de son père. Seule, sans travail ni domicile, elle se déplace d’un coin à l’autre en utilisant les wagons de trains de marchandises. Elle fait la connaissance d’un syndicaliste révolté avec lequel elle va former un couple de pilleurs de trains.
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Si avec son premier long métrage, Who’s That Knocking at My Door (1967), Martin Scorsese s’inscrivait dans l’esprit underground du cinéma de la côte Est, Bertha Boxcar (1972) lui permet de signer son incursion dans le Nouvel Hollywood. Produit par le pape de la série B, Roger Corman, le film se présente comme un exercice de style oscillant entre les libertés artistiques octroyées par la production indépendante et les exigences économiques imposées par le cinéma d’exploitation. À l’origine de ce projet, il y a Julie Corman, l’épouse de Roger Corman, qui achète les droits de Sister of the Road, autobiographie de Boxcar Bertha Thompson parue en 1937, racontant le quotidien d’une hobo durant la Grande Dépression. Sur le plateau, Scorsese fait l’expérience de la « méthode Corman », s’employant à respecter un cahier des charges relativement précis (nécessité de filmer des scènes de nu et privilégier l’exposition franche de la violence sur la suggestion), tout en s’assurant un soutien sans faille de la part de son producteur. Dans ses entretiens avec Richard Schickel, le cinéaste explique que ce second long métrage lui permis d’affirmer « [s]a façon de procéder : la mise en scène, la conception des mouvements de caméra, le fait de filmer des angles supplémentaires en vue du montage (…). Contrebalancer la méthode traditionnelle avec une autre plus innovante » (Richard Schickel, conversations avec Martin Scorsese, Sonatine Éditions, 2011). Il est vrai que la réalisation de Bertha Boxcar (d)étonne. Les raccords dans l’axe ou les déplacements fébriles de la caméra confèrent une impulsion particulière à la fiction.
Si le cinéaste se réfère directement aux Raisins de la colère (1940) et à La Route du tabac (1941) de John Ford, c’est le Bonnie and Clyde (1967) d’Arthur Penn qui vient plus naturellement à l’esprit. Dans un cas comme dans l’autre, l’arrière-plan historique des années 1930 permet une relecture métaphorique de l’Amérique contemporaine, entre la violence économique, la ségrégation raciale et une défense de la marginalité qui préfigure la révolution culturelle des sixties.
Lancés sur les rails du Sud profond, Boxcar Bertha (Barbara Hershey) et Big Bill Shelly (David Carradine) entretiennent une romance dont l’esprit d’absolu appelle à une résolution tragique. La crucifixion du second entérine les malheurs de la première qui, du vagabondage à la prostitution, voit son espièglerie sombrer dans la réalité crue et cruelle d’un monde dominé par les puissants.
L’héroïne du film rappelle la Natalie (Shirley Knight) des Gens de la pluie (Francis Ford Coppola, 1968) et semble annoncer la Holly (Sissy Spacek) de La Ballade Sauvage (Terrence Malick, 1973), s’inscrivant dans la lignée des ces nouvelles figures féminines qui dominent le cinéma américain des années 1970. Même ambivalence entre la pureté apparente et l’expression franche du désir, l’intensité de l’adolescence et la combattivité de la femme indépendante. C’est aussi sur ce point que Bertha Boxcar vaut le détour.
Le beau coffret proposé par Rimini Éditions s’accompagne de bonus de premier choix. D’abord, un long entretien avec Alexis Trosset, coauteur de l’ouvrage Martin Scorsese paru en 2004 chez Dark Star, qui décrypte les différentes facettes du film à travers le prisme du style du cinéaste. Ensuite, une instructive conversation avec Julie Corman qui revient sur la genèse du film et son contexte de production. Deux suppléments qui permettent de prolonger le plaisir pris à la vision de cet indispensable.
- BERTHA BOXCAR
- Éditions : Combo Blu-ray + DVD
- Date de sortie : 17 février 2021
- Réalisateur : Martin Scorsese
- Avec : Barbara Hershey, David Carradine, Barry Primus, Bernie Casey, John Carradine, Victor Argo, David Osterhout, Grahame Pratt, « Chicken » Holleman , Harry Northup, Ann Morell, Marianne Dole, Joe Reynolds
- Scénario : Joyce Hooper Corrington et John William Corrington, adapté du roman autobiographique Sister of the Road de Ben L. Reitman et Boxcar Bertha Thompson
- Producteurs : Roger Corman et Samuel Z. Arkoff
- Photographie : John M. Stephens
- Montage : Buzz Feitshans
- Musique : Gib Guilbeau et Thad Maxwell
- Distribution : Rimini Éditions
- Durée : 88 minutes
- Sortie initiale : 14 juin 1972 (États-Unis) – 4 octobre 1973 (France)
- Tarifs : 24,90 €