Résumé : Les images de film circulent. Plus que jamais depuis leur numérisation, elles sont extraites, collectées, retouchées, remontées et rediffusées sur des supports variés, avec des conséquences indéniablement positives (redécouvrir des films, explorer la plasticité inégalée de l’image de cinéma) et d’autres plus controversées (le « visionnage », individuel, fragmenté, distrait, qui remplace le regard attentif et le spectacle collectif). C’est aux effets de cette circulation que le présent ouvrage s’intéresse – aux changements de forme, de réception, de sens et de valeur des images qu’elle implique.
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En interrogeant le found footage comme un procédé dont la multiplicité des pratiques fait écho à celle de ses orientations et perspectives, Martine Beugnet, professeur en études visuelles à l’Université de Paris et auteure de plusieurs articles et ouvrages sur le cinéma et les médias, cherche à décrypter les mutations et prolongements numériques de l’image cinématographique. Du gif au glitch en passant par le data moshing et le mash-up (un vaste ensemble de notions qui aurait mérité la présence d’un glossaire), l’arsenal des techniques de découpage et de remontage de séquences ou de plans s’est rapidement imposé comme un nouveau mode de production et de consommation audio-visuel. Restait à comprendre l’intérêt que pouvait y trouver le cinéma au-delà des simples stratégies de détournement commercial et de citation ludique. En se focalisant sur différentes installations ou œuvres contemporaines, Beugnet souligne le potentiel artistique et esthétique contenu par ces techniques. Ses nombreuses analyses marquent par leur pertinence et leur façon de percevoir le renouvellement numérique comme un moyen de revenir aux principes du dispositif cinématographique. Comme l’écrit l’auteure « le found footage peut s’envisager à la fois comme une émanation de la passion cinéphile populaire et artistique, une approche quasi-anthropologique du corps filmé, ou encore l’exploration d’un inconscient cinématographique ». Cette volonté de creuser la surface des nouveaux écrans permet donc d’envisager la récupération et la numérisation des images filmiques comme un outil d’exploration révélant la singularité d’un usage et d’une posture qui fait de la méthodologie le principal enjeu de la production audio-visuelle.
Cette problématique ontologique ne se limite pourtant pas seulement aux œuvres transmédiatiques d’artistes issus de la sphère des arts visuels. Beugnet s’intéresse ainsi aux producteurs de réalisateurs confirmés : Artaud Double Bill (2007) et Nos espérances (2019), deux courts métrages respectivement réalisés par Atom Egoyan et Jean-Luc Godard et Personal Shopper (2016), long métrage d’Olivier Assayas. C’est ici le rapport entre écran cinématographique et écran domestique qui fonde la particularité de l’étude, se développant à travers une jolie réflexion sur la persistance et l’évolution des bordures du cadre et de la répartition des espaces de la fiction et de la création.
Si le renvoi aux notions de collection et d’ornement ou à l’espace-temps du cabinet de curiosités permet d’éclairer les singularités de ces nouvelles modalités de production, on regrette que Beugnet ne se soit pas attelée plus longuement à une archéologie de ces pratiques. Les stock-shots qui firent les beaux jours du cinéma d’exploitation supposaient déjà une réflexion sur la récupération et le remontage des images, tandis que la récupération d’un monceau de décor (à l’image de l’escalier de La Féline [1942] hérité du tournage de La Splendeur des Amberson) attisaient l’imaginaire et l’attention du spectateur à partir d’un imaginaire commun.
Ce manque mis à part, l’ouvrage fait preuve d’un indéniable intérêt scientifique et d’une réussite dans ses démonstrations que seconde encore parfaitement la présence de différentes captures d’écran.
- LE CINÉMA ET SES DOUBLES.
- L’IMAGE DE FILM À L’ÈRE DU FOUND FOOTAGE NUMÉRIQUE ET DES ÉCRANS DE POCHE
- Autrice : Martine Beugnet
- Éditions : Le Bord de l’eau
- Collection : UDPN
- Date de parution : 19 mars 2021
- Langues : Français uniquement
- Format : 164 pages
- Tarifs : 10 €