Résumé : C’est l’histoire d’un adolescent californien, petit bourgeois hyper-protégé, qui s’est amouraché du cinéma français dans les salles obscures new-yorkaises, une chimère qu’il prit pour la France… Puis il s’est laissé emporter, dans le Paris d’après-guerre, par les vents du hasard et de la misère. Partant d’un apolitisme militant, ne comprenant pas plus son pays d’adoption avec ses dernières guerres coloniales que « le cauchemar climatisé » de ses origines, il s’est longtemps complu dans l’esthétique formaliste des milieux littéraires, musicaux et cinéphiles qu’il fréquentait. Un quart de siècle plus tard, 68 étant passé par là, il épousera les causes les plus mal vues par les amis de sa jeunesse : communisme, féminisme, « sociologisme »… Le tout sous le regard stimulant des femmes.
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Depuis 1969 et la parution de Praxis du cinéma, Noël Burch est devenu une figure bien connue des cinéphiles. Voguant entre la sphère de la théorie et de la création (son premier court métrage, Noviciat, réalisé en 1964 connut un certain succès), le monde universitaire et celui de la critique, Burch se présente sur bien des points comme un passeur, même s’il préfère l’étiquette de « transfuge » qu’il choisit pour titre de ses mémoires. Ce qualificatif lui permet d’explorer avec justesse et humour la dimension morale à l’origine de ses incessants passages qui structurent l’ensemble de son parcours biographique et professionnel. Chez lui, le voyage prend une forme matricielle, la traversée de l’Atlantique qui le verra quitter son Amérique natale pour la France précipitant les étapes d’un destin toujours maintenu en suspens. Car Burch a le goût des chemins de traverse. Refusant de rentrer au pays pour remplir son devoir de chair à canon, il se fait déserteur et prolonge sa route vers la Suisse. Mais c’est la France qui ne cesse de l’attirer et de le hanter. Là où les cinéphiles parisiens fantasmaient d’Hollywood et des grands maîtres américains, Burch connaît ses premiers émois auprès des vedettes masculines du cinéma français des années 1930 et 1950. Leur douceur et leur sensibilité contrastent avec les canons de virilité véhiculés par les stars du pays de l’oncle Sam. Burch, lui aussi, détonne. Il veut travailler dans le cinéma, sort diplômé de l’IDHEC, mais ne cesse d’entretenir une relation de proximité avec l’écriture. Ses expériences avec certains (grands) noms du Septième art (Pierre Kast dont il fut l’assistant sur le tournage du Bel Âge, Kenneth Anger dont il livre un portrait à la fois sincère et nuancé) lui permettent de comprendre que tracer sa propre route ne signifie pas forcément suivre une trajectoire unique.
Le francophile revient alors à ses origines anglo-saxonnes, de façon indirecte évidemment. Invité en 1978 à participer au Congrès de la FIAF à Brighton, il participe à la redécouverte du cinéma des premiers temps. En résultera la parution d’un ouvrage fondateur, La Lucarne de l’infini (1991), qui revient de façon détaillée sur les enjeux formels mais aussi le contexte sociologique établis par les premiers métrages de l’Histoire du cinéma.
Burch devient alors une sorte d’importateur, introduisant la tendance gender studies au sein des études cinématographiques françaises en publiant l’anthologie de textes Revoir Hollywood. La nouvelle critique anglo-saxonne (1993), puis, aux côtés de Geneviève Sellier, La Drôle de guerre des sexes du cinéma français (1996). Son approche théorique conjugue une volonté de pédagogie avec une certaine force critique qui cherche à ébranler, ou tout du moins à discuter, les bases d’une certaine cinéphilie. Ainsi de sa défiance à l’égard de la Politique des auteurs que l’on retrouve tout au long de ses mémoires à travers son rejet de la pensée dogmatique et des idées préconçues. Cette ligne de conduite pousse Burch à développer une espèce d’auto-critique, dénonçant le formalisme de ses premières études (point sur lequel on ne peut que partiellement s’accorder avec lui, tant ses premiers textes sur Antonioni ou ses analyses du hors-champ continuent de marquer par leur profondeur).
Au plaisir de découvrir ces histoires s’ajoute la qualité d’écriture de Burch qui se propose comme une belle synthèse de ses propres origines. Aux descriptions de caractère qui rappelle par moment l’écriture satyrique de Mark Twain s’ajoute une capacité de mise à distance qui n’est pas sans renvoyer à la méthode autobiographique initiée par Rousseau.
- MÉMOIRES D’UN TRANSFUGE CINÉPHILE
- UNE VIE DE BÂTON DE CHAISE
- Auteur : Noël Burch
- Éditions : L’Harmattan
- Collection : Champs visuels
- Date de parution : 15 mars 2021
- Langues : Français uniquement
- Format : 176 pages
- Tarifs : 18,50 € (print) – 13,99 € (numérique)