Synopsis : Paris, un soir au mois d’août. Un garçon rencontre une fille. Ils ont le même âge, mais n’appartiennent pas au même monde. Félix travaille, Alma part en vacances le lendemain. Qu’à cela ne tienne. Félix décide de rejoindre Alma à l’autre bout de la France. Par surprise. Il embarque son ami Chérif, parce qu’à deux c’est plus drôle. Et comme ils n’ont pas de voiture, ils font le voyage avec Edouard. Evidemment, rien ne se passe comme prévu. Peut-il en être autrement quand on prend ses rêves pour la réalité?
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Ni réalisme social, ni comédie sentimentale, ni buddy movie, ni cinéma d’auteur « parisien »… À l’abordage de Guillaume Brac est en fait un peu tout cela à fois et bien plus encore. Dans la lignée d’illustres prédécesseurs, tels qu’Eric Rohmer ou Jacques Rozier, et en une poignée de films de fiction et de documentaire, le cinéaste pose sa caméra sur des chemins de traverse et saisit la vacuité de ses personnages dans une écoute sensible de leurs difficultés, en parfaite résonance avec notre époque. Par une belle soirée d’été, Félix (Eric Nantchouang), un jeune homme noir, se promène à Paris le long des berges et observe la foule en liesse. Progressivement, il se mêle à la fête et danse langoureusement avec une jeune fille, Alma (Asma Messaoudene), avec laquelle il prolonge la nuit. Mais à peine réveillée, elle le plante pour attraper son train et rejoindre sa famille en vacances. En une succession rapide de scènes précises et elliptiques à l’ouverture, l’action se met en place. Le bouillonnant jeune homme se voit dès lors entraîné à son tour sur les routes à la conquête de son « amoureuse ». Guillaume Brac, en partenariat avec le Conservatoire national supérieur d’art dramatique, a choisi quelques élèves et au cours de l’atelier a construit son récit et ses personnages. Avec sa troupe d’acteurs et non-acteurs, il compose ainsi une sorte d’arborescence où tous vont se croiser et se recroiser, se heurter et s’attirer, dans une scénographie et chorégraphie des corps à ciel ouvert. Félix va rallier son ami Cherif à sa cause dans son épopée puis va rencontrer Edouard. Cherif, ne participant pas aux baignades et activités nautiques et sportives lié à son embonpoint, reste souvent seul au camping où il va se rapprocher d’Helena (Ana Blagojevic) et de sa petite fille Nina. Alma, blessée au pied, va solliciter l’infirmier du camping, Nicolas (Nicolas Pietri), qui lui-même va se confronter à la sÅ“ur de cette dernière, Lucie (Lucie Gallo), etc.Â
Brac multiplie avec maestria les interactions par ce tour de force scénaristique, attribuant à chaque rôle un parcours, une vie propre à laquelle on prend le temps de s’intéresser. Et dans cette ronde où se multiplie les collisions du désir, cette circulation amène chacun d’entre eux à évoluer et modifier son jugement. Le cinéaste expliquait dans une interview, à propos de Félix, comment mettre en scène des personnages noirs aujourd’hui et comment faire pour que ce ne soit pas un sujet en soi. En effet, il ne lui faut que quelques scènes pour débarrasser Félix du costume de l’emploi du « jeune black issu de la banlieue ».
À peine comprend-on que le jeune homme est aide à domicile que le film bifurque vers une autre piste au lieu de s’appesantir sur sa précarité sociale. Un déplacement s’opère alors et la conversation rebondit sur les confidences du jeune homme à la vieille dame. Celle-ci l’encourage et le pousse à ne pas laisser passer sa chance. Dès cet instant, le voyage démarre et on entre dans le tourment universel de tous les jeunes amoureux, quel que soit l’endroit, l’environnement social ou l’époque. À l’image de cette très belle scène de réconciliation entre Félix et Alma, alors qu’ils se baignent dans la rivière sous les yeux envieux d’Edouard et Chérif, se considérant tous deux comme des « galériens de l’amour ».
Une fois tous les récits attendus déconstruits, ce qui reste et nous concerne tous est cette intensité émotionnelle de l’instant décisif qui se dilate et nous palpite le cÅ“ur. Sans le savoir, Guillaume Brac nous rappelle à travers cette comédie d’apprentissage, tournée en 2019 avant la crise sanitaire, ce qui allait tant nous manquer : les rencontres. Ce sel même de l’existence.
Hélène Joly
- À L’ABORDAGE
- Diffusion : le 28 mai 2021 sur Arte / disponible du 21 mai au 26 juin 2021 sur Arte.tv
- Réalisation : Guillaume Brac
- Avec : Eric Nantchouang, Salif Cissé, Edouard Sulpice, Asma Messaoudene, Ana Blagojevic, Martin Mesnier, Lucie Gallo, Nicolas Pietri, Cécile Fueillet, Jordan Rezgui
- Scénario : Guillaume Brac, Catherine Paillé
- Production : Geko Films, Arte France
- Photographie : Alan Guichaoua
- Montage : Héloïse Pelloquet
- Costumes : Marine Galliano
- Distribution : Jour2Fête
- Durée : 1h35