Synopsis : Après une série de crimes inexpliqués, un père retrouve son fils disparu depuis 10 ans. Titane : Métal hautement résistant à la chaleur et à la corrosion, donnant des alliages très durs.
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Sorti en 2017, Grave s’est imposé comme un renouveau du cinéma de genre français. Après avoir secoué la Semaine de la Critique au Festival de Cannes à l’époque, Julia Ducournau revient sur la croisette cette fois en compétition officielle pour un deuxième long-métrage, extrêmement attendu. D’autant que Titane s’est fait assez discret, avec une bande-annonce qui économisait ses effets et un pitch volontairement destiné à orienter les spectateurs vers une fausse piste. Le film est en effet en mutation constante. Après un passage dans l’enfance d’Alexia (Agathe Rousselle), où l’on apprend qu’un accident de la route lui a valu de se faire poser une plaque de titane dans le crâne, on la suit dans son métier de danseuse dans un salon automobile. À l’issue de sa prestation, elle doit faire face à un fan qui n’a toujours pas compris le sens du mot « non », et finit par… l’exécuter froidement. Le trash de ce début de film rappelle les slashers les plus classiques, avec un environnement automobile qui va parfois presque jusqu’à citer directement Christine de John Carpenter. Mais après une bonne demi-heure de « rape and revenge », le film se transforme, dans le registre le plus propice à la mutation : le body horror. Dans la droite ligne de David Cronenberg, son modèle revendiqué, Julia Ducournau montre son héroïne faire face à de profonds bouleversements corporels, après une scène de sexe automobile qui rappelle Crash. Mais loin de se contenter de citer ses références, la cinéaste y pose aussi ses propres obsessions, en particulier le regard de l’autre sur le corps, que le film mutile, démange, torture, agresse.
Cette obsession de l’apparence passe, de manière très explicite, par les modifications que tous les personnages appliquent à leur corps (les tatouages d’Alexia, les piercings de Justine, la musculation dopée du père). Elle passe aussi par le regard sur le genre. Les bases sont posées dès la scène du salon automobile, bondé de carrosseries rutilantes et de danseuses toutes aussi éclatantes, dans un parallèle les positionnant toutes comme possessions fragiles et objets de fierté masculine.
Mais vite, le personnage d’Agathe Rousselle transforme son apparence pour échapper à la police : les cheveux sont coupés courts, la poitrine est camouflée sous des bandages… Le père joué par Vincent Lindon se révèle tout aussi intéressant, tiraillé entre ses injections dopantes pour conserver sa sculpturale musculature et sa sensibilité qui transparaît à l’écran, jusque dans le choix des couleurs.
L’occasion d’aller jusqu’à questionner les stéréotypes de genre. C’est la femme frêle qui tue sans la moindre émotion et c’est l’homme épais et viril qui émeut et en appelle à la sensibilité d’Alexia. Jusque dans la scène de soirée, où le groupe de jeunes pompiers s’arrête net en voyant Alexia, qu’ils connaissent sous le nom d’Adrien, danser lascivement, de manière très féminine. Perplexité du groupe qui paraît d’autant plus absurde après la scène précédente où ces mêmes pompiers ne font pas preuve de beaucoup de masculinité, au sens où la société l’entend communément, dans leur danse.
Le tout est servi dans une esthétique assez renversante, colorée, chatoyante, tout en restant sombre et torturée. Ruben Impens, déjà à l’œuvre sur la photographie de Grave, accouche de certaines images vraiment dérangeantes, qui ne laissent pas indifférent. À l’instar de la naissance qui marque la fin du film, les triturations auxquelles se livre Julia Ducournau viennent confirmer son aptitude à en sortir un nouveau cinéma de genre, et son statut d’autrice qui compte et qui va compter dans les années à venir.
Théotime Roux
- TITANE
- Sortie salles : 14 juillet 2021
- Réalisation et Scénario : Julia Ducournau
- Avec : Vincent Lindon, Agathe Rousselle, Garance Marillier, Laïs Salameh, Dominique Frot, Myriam Akheddiou, Nathalie Boyer, Théo Hellermann, Mehdi Rahim-Silvioli
- Production : Jean-Christophe Reymond
- Photographie : Ruben Impens
- Montage : Jean-Christophe Bouzy
- Costumes : Anne-Sophie Gledhill
- Décors : Laurie Colson, Lise Péault
- Distribution : Diaphana
- Durée : 1 h 48