Synopsis : Originaires du Montana, les frères Phil et George Burbank sont diamétralement opposés. À eux deux, ils sont à la tête du plus gros ranch de la vallée du Montana. Lorsque George épouse en secret Rose, une jeune veuve, Phil, ivre de colère, se met en tête d’anéantir celle-ci.
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Récompensé du Lion d’argent à la dernière Mostra de Venise, The Power of the Dog prouve que le regard de Jane Campion n’a rien de perdu de sa vigueur et de sa fraîcheur. Près de trente ans après la révélation La Leçon de piano (1993), la réalisatrice prolonge cette atmosphère singulière de violence et de douceur qui caractérise la dramaturgie principale de son cinéma. Chez Campion, il est souvent question d’un corps qui découvre un territoire. De cette rencontre séminale s’établit le choc culturel et pulsionnel à travers lequel s’articuleront les mécanismes de la fiction. Soit Rose (Kirsten Dunst) débarquée de la civilisation pour atterrir dans les vastes terres du Montana, topographie que Campion représente à travers des plans larges et des vues aériennes qui insistent sur la plénitude sauvage du lieu. À l’instar du bush australien de Holy Smoke (1999), le paysage montagneux de Power of the Dog se constitue comme un espace mental dont la représentation semble d’abord dépendre du regard qui se pose sur lui. La forme du chien qui se devine à l’intérieur du relief dominant le lointain métaphorise le paradoxe malaisant développé par Campion. Entre chien et loup, horizon infini et huis-clos, clarté lumineuse et opacité ténébreuse, la montage préserve autant qu’elle menace. La mise en scène s’imprègne progressivement de cette tendance à l’oxymore. À partir d’un travelling unique dont le rythme se cale sur la somptueuse bande musicale lancinante composée par Johnny Greenwood, la réalisatrice exprime la douceur cruelle qui détermine le désaccord entre la fragilité de Rose et la rudesse du rancher Phil Burbank (Benedict Cumberbatch).
Chez Campion l’affrontement est moins affaire de caractères que de comportements ataviques. Ce sont les déterminismes à l’origine de la divergence qui l’intéresse. Si son héroïne rappelle par moments la Elizabeth Taylor de Géant (George Stevens, 1956), la cinéaste prend soin de décaler le traditionnel conflit entre Nature et Civilisation du côté d’une problématique identitaire plus complexe. La référence initiale à Romulus et Rémus se veut ainsi programmatique. La lutte fraternelle s’organise autour d’une frustration primitive et croissante faite de dénis autant que de non-dits qui se situent au cœur de la caractérisation de Phil dont l’attirance refoulée pour le jeune Peter Gordon (Kodi Smit-McPhee) assure son ambiguïté essentielle.
Le rancher s’inscrit dans la lignée des grandes figures masculines qui traversent la filmographie de Campion. Car si la réalisatrice de Portrait de femme (1996) et de Top of the Lake (2013-2017) a souvent été louée pour la justesse de ses représentations féminines, The Power of the Dog rappelle à quel point son art de la nuance n’a rien de genré. Campion ne cherche pas à représenter l’érosion d’un symbole mais réfléchit les codes d’une virilité trahie par son humanité.
Sur certains points, l’évolution de l’œuvre de Campion rappelle celle de Paul Thomas Anderson. À l’instar de ceux de son homologue américain, les films de la réalisatrice ne cessent de concilier l’instinct et l’intelligence. Les deux cinéastes ont par ailleurs en commun un goût pour la matière qui fonde la puissance érotique de leur mise en scène. Des textiles de Phantom Thread (2017) aux fleurs de papier et à la corde de cuir de The Power of the Dog, la palpabilité est une donnée essentielle de leur œuvre. Preuve que l’avenir du cinéma n’est pas qu’affaire de nouveaux noms.
- THE POWER OF THE DOG
- Diffusion : 1er décembre 2021
- Chaîne / Plateforme : Netflix
- Réalisation : Jane Campion
- Avec : Benedict Cumberbatch, Kirsten Dunst, Jesse Plemons, Kodi Smith-McPhee, Thomasin McKenzie, Frances Conroy, Keith Carradine, Genevieve Lemon, Adam Beach
- Production : Jane Campion, Iain Canning, Roger Frappier, Tanya Seghatchian, Emile Sherman
- Scénario : Jane Campion (adapté du roman éponyme de Thomas Savage)
- Photographie : Ari Wegner
- Musique : Johnny Greenwood
- Montage : Peter Sciberras
- Décors : Grant Major
- Costumes : Kirsty Cameron
- Durée : 126 minutes