Synopsis : Dans un hôpital réservé aux adolescents atteints de pathologies graves, les malades se retrouvent chaque soir à minuit pour partager des histoires effrayantes.
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Mike Flanagan n’en est pas à sa première collaboration avec Netflix. Showrunner de la saluée The Haunting of Hill House en 2018, il a depuis créé pas moins de quatre séries horrifiques pour la plateforme de streaming. On lui doit aussi des films comme Jessie ou encore Doctor Sleep. La dernière de ces créations, The Midnight Club, adapte le livre éponyme de Christopher Pike, l’un des romans favoris du réalisateur. L’histoire prend place à Brightcliffe : une vieille demeure convertie par le Docteur Georgina Stanton en hospice, où de jeunes gens atteints de maladies incurables viennent finir leurs jours, loin de la fadeur des hôpitaux et de l’acharnement thérapeutique. On y suit notamment la protagoniste, Ilonka, condamnée par un cancer de la thyroïde à l’aube de ses 18 ans. Comme à son habitude, Flanagan excelle à donner vie à la vieille bâtisse, supposément hantée. Embrassant le regard d’Ilonka, la caméra s’attarde sur les corridors labyrinthiques qui relient les dortoirs, sur les murs peuplés des photos d’anciens résidents. Au sous-sol, l’interphone de la cellule d’isolement grésille des paroles qui semblent surgies de l’au-delà. Quant au feu de cheminée qui réchauffe chaque nuit la bibliothèque, on le croirait le fruit de la maison elle-même, faute de voir aucun des personnages l’allumer. Les lieux changent au gré des hallucinations des pensionnaires – effets des médicaments ou signes des fantômes ? – et dévoilent par bribes le passé mystérieux de l’hospice. On se plaît à explorer les recoins, les pièces cachées et l’histoire de Brightcliff aux côtés de l’entêtée Ilonka. Cette dernière enquête sur la guérison miraculeuse d’une ancienne interne. De rencontres en découvertes, la jeune femme retrace au fil des épisodes les chroniques de cette maison, où les tragédies d’antan flirtent dangereusement avec des rituels occutes.
The Midnight Club se joue plutôt efficacement de la frontière ténue entre fantasme et magie. Les avis mitigés des différents pensionnaires sur la possibilité, et même sur l’intérêt, de guérir enchantement, ajoutent aux doutes du spectateur et renouvellent sa curiosité d’épisode en épisode. Ces derniers s’articulent autour d’un schéma qui se décline mais varie peu : d’un côté, on suit Ilonka dans ses interactions avec les autres personnages et l’avancée de ses recherches ; de l’autre, on nous raconte une petite histoire, souvent horrifique, qui ferait presque office d’épisode d’anthologie. The Midnight Club repose en effet sur un concept audacieux : l’intrigue principale est entrecoupée de récits narrés par les personnages eux-mêmes, qui se regroupent dans la bibliothèque chaque fois que sonne minuit pour que l’un partage aux autres une histoire de son invention.
Ces fictions imbriquées remettent en scène les membres du groupe, tels que perçus ou caricaturés par celui qui raconte et se retrouve systématiquement protagoniste de son récit. Le passé, les hobbies, les angoisses et le rapport aux autres de chacun transparaissent ainsi à travers sa propre mise en fiction. Les personnages s’appréhendent et se comprennent davantage à travers leurs histoires que dans leur propre quotidien.
Si la plupart jouent d’ailleurs du registre horrifique, certaines s’en éloignent pour appuyer les goûts littéraires mais surtout cinéphiles du narrateur. Certains optent pour la science-fiction, quand un autre esquisse un pastiche jouissif d’un film noir tout en nuances de gris. L’une des membres, Cheri, est même dispensée de raconter sous prétexte que, menteuse compulsive, elle invente déjà des histoires en permanence. Le fait même que les autres se livrent à demi-mots, par les fictions qu’ils donnent d’eux, confère pourtant aux bobards journaliers de Cheri une portée véridique : ses mensonges disent l’absence des parents dont elle invente les exploits et le besoin d’acceptation qui la pousse à se mettre ainsi en avant.
Ce concept original constitue en même temps la limite de The Midnight Club. Si les récits enchâssés offrent une approche singulière et un développement original aux personnages, les différentes histoires racontées sont cependant inégales. Certaines se réapproprient de façon caricaturale ou intime les codes du genre auquel elles empruntent, tandis que d’autres les alignent de manière peu subtile. Les récits les plus poignants sont sans doute ceux d’Anya et de Natsuki.
Ils dévoilent efficacement les enjeux propres aux personnages, mais constituent aussi d’excellents contes horrifiques à part entière. A contrario, l’histoire racontée par Amesh ne développe laborieusement que ses propres sentiments amoureux. Les motifs et plot-twists employés plus tard par Spencer sont sensiblement les mêmes, bien qu’ils servent une narration plus personnelle et aboutie. Selon l’affinité du spectateur avec le narrateur, l’ennui menace à plusieurs reprises d’entacher le visionnage. En fil rouge, l’enquête d’Ilonka pâtit de ces ralentissements et se solde amèrement par une fin de saison qui laisse trop de questions en suspens pour ne pas attiser la frustration.
Heureusement, la structure du septième épisode rompt au moment opportun le schéma jusqu’alors établi par la série et appuie plus fermement l’autre rôle des histoires racontées. Elles ne sont pas seulement le moyen détourné par lequel les personnages se présentent et se représentent. Elles constituent également une forme de vie par procuration, l’existence fantasmée de ceux qui sont condamnés à ne pas vieillir, un avenir peut-être même plus enviable que celui qu’offrirait une guérison miraculeuse. Le personnage d’Anya aborde avec finesse cette idée presque taboue, à travers la mise en scène aseptisée et morose du quotidien d’une survivante : job alimentaire et répétitif, rêves brisés par son infirmité, vie sociale endeuillée et culpabilité d’avoir survécu à tous ses amis.
Une fois de plus, Mike Flanagan met l’horreur au service d’un propos plus humain et fait même de celle-ci un motif assez secondaire, dont il reprend les codes sans l’exploiter pleinement. Les soupçons de hantise qui planent sur la vieille maison redoublent la mort qui menace chacun des pensionnaires condamnés par la maladie. The Midnight Club traite de la façon dont on se raconte, des récits qu’on laisse derrière soi et du rôle de l’imaginaire dans l’appréhension de notre propre fin.
Aésane Geeraert
- THE MIDNIGHT CLUB
- Diffusion : 7 octobre 2022
- Chaîne / Plateforme : Netflix
- Créateurs : Mike Flanagan et Leah Fong
- Avec : Iman Benson, Igby Rigney, Ruth Codd, Chris Sumpter, Annarah Cymone, Adia, Aya Furukawa, Sauriyan Sapkota, Heather Langenkamp, Samantha Sloyan, Matt Biedel, Zack Gilford…
- Saison : 1
- Durée : 10 épisodes de 60 minutes