Babylon de Damien Chazelle : critique

Publié par CineChronicle le 17 janvier 2023

Synopsis : Los Angeles des années 1920. Récit d’une ambition démesurée et d’excès les plus fous, Babylon retrace l’ascension et la chute de différents personnages lors de la création d’Hollywood, une ère de décadence et de dépravation sans limites.

♥♥♥♥

 

Babylon - affiche

Babylon – affiche

1975, le livre Hollywood Babylone de Kenneth Anger est publié aux États-Unis, avant d’être aussitôt interdit. La raison de cette censure ? L’auteur et réalisateur y décrivait les aspects les plus noirs de l’âge d’or hollywoodien, revenant sur les détails sordides d’affaires. Addictions à la drogue, scandales sexuels et meurtres liés à la mafia, les coulisses peu reluisants du septième art étaient ainsi affichés au grand jour, contrastant violemment avec l’image de fabrique à rêve. Impossible alors de ne pas penser à ses écrits devant Babylon, cinquième long-métrage de Damien Chazelle, réalisateur adulé pour Whiplash et La La Land, avant de diviser avec First Man. Si les deux œuvres partagent dans leurs titres la référence à l’antique cité mésopotamienne, ‘‘mère des impudiques et des abominations de la terre’’ selon le livre de l’apocalypse, leurs similitudes vont bien plus loin. Le film et l’ouvrage partagent la même volonté de plonger dans les sombres recoins d’Hollywood. Dès la scène d’introduction, le ton est donné. Un éléphant capricieux, dressé pour intervenir lors d’une future réception, défèque sans retenue sur ses dresseurs. Tout spectacle se fonde sur des éléments peu reluisants que l’on tente tant bien que mal de contenir et de gérer, ce que la suite du film se fait un malin plaisir à confirmer. La flamboyante fête d’ouverture qui s’en suit, nous immerge ainsi dans le maelström aussi enivrant que décadent de l’âge d’or hollywoodien. Danses endiablées et overdoses mortelles se mêlent en un étrange assemblage où vie et mort n’ont plus aucune importance, et où seul compte la jouissance immédiate.

 

Babylon de Damien Chazelle - Paramount

Babylon de Damien Chazelle / Crédit Paramount

 

Au-delà de ces scènes de fêtes orgiaques, Damien Chazelle met en lumière les méthodes malhonnêtes et véreuses parfois misent en œuvre sur les tournages : licenciements injustifiés et arbitraires, mort de figurants recrutés parmi les drogués des environs. Babylon se semble pas s’embarrasser de notions telles que la légalité ou la morale de l’industrie hollywoodienne. Pour autant, le cinéaste en revient toujours à l’amour profond et à la passion qu’il éprouve pour le cinéma. Une émotion brute naît ainsi après de longues séquences potaches. À l’exemple de cette apparition inopinée d’un papillon d’un immense tournage chaotique plein de bruit et de fureur.

 

Chazelle continue de s’attacher à montrer le prix à payer pour pouvoir toucher ses rêves du doigt. Comme Andrew Neiman dans Whiplash, Sebastian et Mia dans La La Land, Neil Armstrong dans First Man, sacrifiant leur vie intime sur l’autel de leur passion, les trois héros de Babylon s’abandonnent corps et âme au cinéma, y laissant leur vie de couple, leur innocence, voire plus encore. Margot Robbie livre peut-être sa meilleure performance, aussi intense que physique. Diego Calvas, candide et déterminé, est une véritable révélation. Et Brad Pitt assure encore un personnage à la force tranquille, cachant ses fêlures derrière sa nonchalance.

 

Si la direction d’acteur est toujours remarquable, la mise en scène de Chazelle gagne aussi en ampleur et en immersion. On retrouve ses longs plans-séquences rythmés sur de la musique jazz, qui captent à merveille l’ébullition et la folie ambiante, avant de retrouver le protagoniste au cœur de ce chaos. Babylon n’est pas une comédie musicale, mais on y retrouve le même sens du rythme et de la chorégraphie dans le ballet des protagonistes. Justin Hurwitz, son fidèle compositeur, accomplit toujours un travail sidérant, avec une partition galvanisante, en parfaite symbiose avec les images. Mise en scène et musique retranscrivent la folle effervescence qui anime un tournage de cinéma, dans un montage parallèle d’une efficacité et d’une précision remarquable, rendant la transition avec le parlant d’autant plus brutale.

 

Brad Pitt et Diego Calva - Babylon

Brad Pitt et Diego Calva – Babylon de Damien Chazelle / Crédit Paramount

 

Film volontairement miroir de Chantons sous la pluie de Stanley Donen et Gene Kelly, Babylon donne sa vision bien plus violente de l’arrivée du cinéma parlant. La première scène de tournage sonore, pleine de tension et d’éclats de violence verbale, tendraient presque vers le thriller, voire le cinéma d’horreur. En montrant que ce tournant s’est fait dans la douleur et la mise à l’écart des créateurs, Chazelle évoque en filigrane l’industrie cinématographique actuelle, dominée par les énormes franchises et où les auteurs se dirigent peu à peu vers les plateformes de VOD.

 

Babylon souffre toutefois de certaines failles, notamment liées à sa durée. Quelques scènes sont exagérément étendues, quand d’autres se répètent inutilement. Si les seconds rôles sont souvent amusants ou intrigants, leur place dans le récit en fait souvent de simples personnages prétextes pour évoquer un aspect du Hollywood de l’époque (Anna May Wong représente le tabou de l’homosexualité, Estelle Conrad l’opposition entre théâtre et cinéma…). Babylon en fait également un peu trop dans son dernier tiers, virant vers le film de gangster halluciné, façon Martin Scorsese. Pour autant, le film n’en demeure pas moins étrangement pertinent. Car fidèle à lui-même, Damien Chazelle garde espoir et réaffirme sa foi immuable dans le cinéma, laissant le spectateur sidéré et heureux, étreint par l’irrépressible envie d’aimer le Septième Art.

 

Timothée Giret

 

 

 

  • BABYLON
  • Sortie salles : 18 janvier 2023
  • Réalisation et Scénario : Damien Chazelle
  • Avec : Margot Robbie, Brad Pitt, Diego Calva, Tobey Maguire, Li Jun Li, Jovan Adepo, Olivia Hamilton, Katherine Waterston, Max Minghella, Olivia Wilde, Samara Weaving, Eric Roberts…
  • Production : Olivia Hamilton, Marc Platt et Matthew Plouffe
  • Photographie : Linus Sandgren
  • Montage : Tom Cross
  • Décors : Mary Zophres
  • Costumes : Mary Zophres
  • Musique : Justin Hurwitz
  • Distribution : Paramount Pictures
  • Durée : 3 h 09

 

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