Synopsis : Carmen, une jeune mexicaine qui tente de traverser la frontière, tombe sur une patrouille américaine. Aidan, jeune ex-marine lui sauve la vie en tuant l’un des siens. A jamais liés par cette nuit tragique et désormais poursuivis par les forces de l’ordre, ils font route ensemble vers la Cité des Anges. Ils trouveront refuge au cœur de la Sombra Poderosa, un club tenu par la tante de Carmen qui leur offrira un moment suspendu grâce à la musique et la danse.
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Pour son premier film en tant que réalisateur, Benjamin Millepied s’attaque à un monument de l’opéra, Carmen de Georges Bizet. L’œuvre populaire n’en est pas à sa première adaptation, et le chorégraphe doit trouver les moyens de s’en démarquer. Il ne s’agit pas seulement de se demander comment réadapter Carmen en 2023, mais surtout pourquoi. Millepied opte pour réancrer cette fable séculaire dans l’actualité. L’action est transposée de nos jours : Carmen immigrée mexicaine, son brigadier un patrouilleur américain. Le Français se réapproprie complètement l’œuvre d’origine : les chansons sont réécrites et les tableaux chorégraphiés. Loin des décors titanesques des comédies musicales américaines (dont le récent remake de West Side Story), Carmen met à profit tous les mouvements disponibles – ceux des corps, ceux des machines, des jeux de lumière et de miroir – pour sublimer des lieux plus modestes, parfois exigus. Les numéros de danse sont dans l’ensemble une réussite et participent pleinement à la caractérisation des personnages. Les plus fameux sont certainement l’ouverture, flamenco révolutionnaire d’une mère sacrifiée, et l’envolée finale dans laquelle Paul Mescal échappe au ballet de boxe viril pour atteindre la grâce dans un saut aérien – fantasme d’une impossible liberté. Melissa Barrera et lui servent à merveille leurs personnages. Le talent tient moins dans les répliques que dans l’attitude corporelle. Tous deux parviennent à mêler force et sensualité, sans éclipser toutefois une poignée de second rôles féminins qui brillent aussi par leur présence.
Malgré le réalisme affiché du contexte dans lequel il ancre son adaptation, Benjamin Millepied ne s’interdit aucun écart expérimental. Les kilomètres de trajet qui séparent la frontière mexicaine de Los Angeles se cristallisent dans le travelling plongeant du marquage routier, décuplé en surimpression, bientôt rejoint par les étincelles des feux d’artifices qui annoncent une escale. Les guirlandes d’une fête foraine muées en créature tentaculaire ou le sable doré qui envahit l’habitacle de la voiture, les scènes de rêveries arrachent pour de bon les personnages à la dureté d’une vie de violence. Ensemble, ils apprennent la poésie : celle qui se vit, d’un simple regard posé sur le monde.
Si elle fait la beauté du film, son hybridité en limite aussi hélas la portée. L’onirisme des séquences musicales se heurte au réalisme politique des extérieurs réels. L’allégorie universelle d’un amour qui émancipe mais ne peut perdurer se brise aux creux de personnages presque trop caractérisés. Le propos engagé se dissout, lui, dans l’ivresse des pas de danse et des tableaux savamment orchestrés. En résulte un film tout en ruptures, dont le rythme peine à emporter tout à fait. Face à ce chassé-croisé parfois laborieux, on ne sait plus trop bien sur quel pied danser ni vers quoi tend Carmen.
Pour un premier essai à la réalisation et fort de son métier de chorégraphe, Benjamin Millepied ne manque toutefois ni d’audace, ni d’imagination. Sa Carmen domine fièrement tout le pathos qui l’entoure. Elle incarne, avec celles qui l’entourent et l’épaule, la puissance féminine ; là où le sensible Paul Mescal parvient à faire cohabiter en un seul corps virilité et délicatesse. C’est sans doute dans les nuances, purement visuelles, qu’il donne du genre que le film se révèle le plus abouti.
Aésane Geeraert
- CARMEN
- Sortie salles : 14 juin 2023
- Réalisation : Benjamin Millepied
- Avec : Paul Mescal, Melissa Barrera, Rossy de Palma, Nicole Da Silva, Benedict Hardie, Elsa Pataky, The D.O.C., Tara Morice, Richard Brancatisano, Kaan Guldur, Pipi Edwards, Nico Cortez, Ryan Oliver Gelbart, Kevin Maclsaac…
- Scénario : Benjamin Millepied, Loïc Barrière
- Production : Rosemary Blight, Dimitri Rassam, Mimi Valdes
- Photographie : Jörg Widmer
- Montage : Dany Cooper
- Décors : Steven Jones-Evans
- Costumes : Emily Seresin
- Musique : Nicholas Britell, Taura Stinson, Julieta Venegas
- Distribution : Pathé
- Durée : 1 h 56