Synopsis : En pleine représentation de la pièce « Le Cocu », un très mauvais boulevard, Yannick se lève et interrompt le spectacle pour reprendre la soirée en main…
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Auteur devenu incontournable dans le registre de la comédie absurde, Quentin Dupieux maîtrise l’art des récits à dormir debout, proposant toujours aux spectateurs de quoi renverser la réalité et ses codes. Il a su se démarquer par le choix de sujets improbables (Rubber, Le Daim) ou en les orientant de manière insolite (Incroyable Mais Vrai). Quatre ans après Réalité (2014) Ie cinéaste s’avère inépuisable tant il est productif, avec un à deux longs-métrages par an depuis Au poste (2018). Yannick se présente comme le nouveau bébé d’une longue portée en attendant le fameux Daaaaaali !, prévu lui aussi pour 2023. Une cadence si régulière qu’un certain sentiment de relâchement s’est fait sentir dans quelques-uns de ses derniers films. C’était notamment le cas du décevant Mandibule, dans lequel le cinéaste se cramponnait lourdement à son style au détriment de la qualité de son œuvre. Bien que toujours empreint de son non-sens loufoque typique, Quentin Dupieux semble, avec Yannick, tendre davantage vers quelque chose de plus significatif. L’intrigue prend place dans un petit théâtre parisien où se joue une pièce de boulevard sans intérêt et très mal jouée, devant laquelle s’installe d’emblée un sentiment de malaise. C’est après quelques minutes insoutenables, autant pour le spectateur intradiégétique que pour celui qui regarde le film, qu’entre en scène Yannick.
Ce personnage qu’on croirait sorti tout droit d’un film de Bruno Dumont, au phrasé populaire et sans retenue, interrompt le massacre pour recentrer les consciences à la réalité de la vie. Du moins à sa propre réalité, celle d’un quotidien précaire touchant tout un pan du monde qui n’a ni le temps ni les moyens de trouver dans l’art, une échappatoire. En jetant ce personnage dans une salle presque vide, où semblent s’ennuyer sans broncher quelques Parisiens friqués et des comédiens en mal de reconnaissance, Dupieux met ainsi en scène une fracture sociale. Si on se demande un temps si Dupieux regarde son drôle de héros preneur d’otages avec moquerie ou bien tendresse, le doute n’est pas de mise en ce qui concerne les comédiens de la pièce. Entre le chantage improbable de Blanche Gardin, prête à tout pour survivre et Pio Marmaï dans le rôle d’un comédien raté, dénué de self-control, le métier y est ironiquement écorné.
À l’instar de Le Daim, qui critiquait l’individualisme de notre société via un protagoniste prêt à tuer pour un blouson, Quentin Dupieux, dans Yannick utilise l’humour pour dénoncer l’écart aberrant des classes sociales. Avec un dispositif scénique rappelant Au Poste, le réalisateur se centre sur les dialogues des personnages, tels que le suggèrent les codes classiques du huis clos. Aidé par une durée d’une heure sept seulement, il file droit à l’essentiel sans autre fioriture. Si l’humour et les bons mots restent présents, le rire et le malaise laissent progressivement place à une émotion purement dramatique.
Par la justesse généreuse du jeu de Raphaël Quenard, Yannick se meut en un personnage touchant par sa créativité, son authenticité et sa propre émotion finale qui laisse entrevoir un registre poétique rarement perçu dans l’univers du cinéaste. Cette nouvelle sensibilité s’impose peut-être comme étant son nouveau salut artistique, l’empêchant ainsi de se complaire dans une fade redondance. Ce vent de fraîcheur, donne d’autant plus envie de découvrir Daaaaaali ! qui promet une nouvelle évolution dans l’univers de Dupieux.
Eugénie Le Quillec
- YANNICK
- Sortie salles : 2 août 2023
- Réalisation et Scénario : Quentin Dupieux
- Avec : Raphaël Quenard, Blanche Gardin, Pio Marmaï, Sébastien Chassagne, Agnès Hurstel
- Production : Hugo Sélignac, Mathieu Verhaeghe, Thomas Verhaeghe et Quentin Dupieux
- Photographie : Quentin Dupieux
- Montage : Quentin Dupieux
- Décors : Bruno Hadjadj
- Costumes : Elfie Carlier
- Distribution : Diaphana
- Durée : 1 h 05