Mémoires du Cinéma : Carrie, au Bal du Diable de Brian De Palma (1976)

Publié par Philippe Descottes le 1 novembre 2017
Carrie de Brian De Palma

Carrie de Brian De Palma

À l’occasion de la ressortie en version restaurée de Carrie de Brian De Palma, CineChronicle vous propose désormais, dans Mémoires du Cinéma, de revenir sur les origines des films cultes, classiques ou chefs-d’œuvre à travers les notes de production, l’avis de la presse de l’époque, la bibliographie, des versions de scénarios et bien plus encore…

 

 

 

Carrie - poster

Carrie – poster

En 1975, grâce à un ami, Brian De Palma découvre le premier roman d’un écrivain encore inconnu, Carrie d’un certain Stephen King. Le réalisateur a déjà neuf long métrages à son actif, mais il garde un très mauvais souvenir de Get to know your rabbit (1972), sa seule expérience avec un studio, Warner Bros.

 

À la lecture de ce livre, il se dit que c’est l’opportunité de refaire un film avec une major. Il parvient à convaincre United Artists, détentrice des droits, de lui confier la réalisation. Avec George Lucas, débutant comme lui à la Warner, en phase de préparation de Star Wars (La Guerre des Étoiles), ils organisent des séances de casting en commun. Pour le rôle-tire, Sissy Spacek n’est pas la priorité de Brian De Palma, mais un bout d’essai saura convaincre l’assemblée, le réalisateur comme les producteurs.

 

Au livre, il apporte plusieurs modifications dans cette première adaptation cinématographique de sa carrière, tout en demeurant fidèle à ses références hitchcockiennes. La ressortie de Carrie en version restaurée, distribué par Splendor Films, est l’occasion de se plonger plus avant dans cette oeuvre qui a marqué l’histoire du cinéma fantastique et d’horreur.

 

Brian De Palma découvre Stephen King

 

1975. Brian De Palma habite à New York, près de la 5e Avenue. Dans le club de gym qu’il fréquente  régulièrement, à côté de chez lui, sur la 12e Rue, il croise l’ami d’un ami, David Freeman, l’auteur du livre The Last Days of Alred Hitchcock, et le coscénariste du film qu’Hitchcock préparait peu de temps avant sa mort, The Short Night. Celui-ci lui recommande la lecture d’un roman d’épouvante, premier livre d’un jeune écrivain nommé Stephen King. Brian De Palma se procure donc Carrie dans une grande librairie et le lit sans tarder. Il songe immédiatement à l’adapter pour le cinéma.

 

À cette époque, le réalisateur est loin d’être un débutant. S’il vient de terminer Obsession, qui n’est pas encore sorti, il s’est déjà fait remarquer avec Greetings (1968), Sœurs de sang (1973 ) et Phantom of the Paradise (1974), Grand prix du Festival d’Avoriaz. Pourtant, il reste marqué par l’échec de Get to know your rabbit (1972) et par son licenciement à la Warner, où il a fait la connaissance de George Lucas, Francis Ford Coppola et Martin Scorsese, des débutants comme lui. Il pense que Carrie, sa première adaptation d’une œuvre littéraire, peut lui permettre de se relancer avec un grand studio.

 

Tournage Carrie

Tournage Carrie

 

Le coup de pouce de Margot Kidder

 

Brian De Palma contacte George Litto, son agent et le producteur d’Obsession, pour savoir si les droits du roman sont libres. Par chance, ils le sont, mais ils semblent intéresser beaucoup de monde. Si la Fox a été parmi les premières à se manifester, le projet serait désormais chez les Artistes Associés.

 

Le réalisateur rencontre l’influent scénariste et producteur Paul Monash. Dans le métier depuis de nombreuses années, il a produit Butch Cassidy et le Kid et il est également l’auteur de la première version du scénario de La Soif du mal d’Orson Welles. Paul Monash a été lié à la Fox, mais il est maintenant sous contrat avec United Artists. Il se charge de produire Carrie à partir d’un scénario écrit par Lawrence D. Cohen. Brian De Palma espère être engagé comme réalisateur, cependant la partie est loin d’être gagnée. Heureusement, Mike Medavoy, l’un des responsables de UA, entend parler de lui en bien par Margot Kidder, dont il a été l’agent. Rappelons que l’actrice fut la petite amie du réalisateur qui l’a dirigée sur Sœurs de sang. Medavoy, qui a vu le film, est convaincu des capacités de De Palma.

 

En dépit du feu vert de la direction des Artistes Associés, un litige sur le montant du budget alloué risque de faire échouer l’accord entre les deux parties. Le studio n’entend pas débourser plus d’1,6 millions de dollars. De Palma, qui en attend 1,8, refuse dans un premier temps, se ravise et cède. Le budget souhaité atteindra finalement les 1,8 millions à l’arrivée.

 

Sissy Spacek et Brian De Palma - Carrie

Sissy Spacek et Brian De Palma – Carrie

 

Carrie ou Star Wars ?

 

Quand Brian De Palma démarre son casting, George Lucas cherche ses acteurs pour Star Wars. Les deux hommes se connaissent depuis leur passage à la Warner. Le premier propose au second de faire les séances de casting en commun. Sissy Spacek et John Travolta sont alors pratiquement inconnus. Si les deux réalisateurs voient défiler de nombreux jeunes comédiens, leurs choix sont pourtant différents, à deux exceptions près. En effet, Brian De Palma songe à Amy Irving pour interpréter le personnage de Sue Snell, tandis que George Lucas envisage de lui confier le rôle de la princesse Leila qui reviendra finalement à Carrie Fisher. Quant à William Katt, il a d’abord auditionné pour le rôle de Luke Skywalker avant de décrocher celui de Tommy Ross.

 

Pour Carrie, De Palma a d’autres idées en tête que Sissy Spacek. Il est vrai que la comédienne a 25 ans et la Carrie du roman est une adolescente de 17 ans. Mais elle est l’épouse de Jack Fisk, le directeur artistique, qui faisait déjà partie de l’équipe de Phantom of the Paradise et qui souhaite qu’on lui donne sa chance. Aux réticences du cinéaste s’ajoute l’opposition de Mike Medavoy qui se souvient qu’elle a déjà tourné dans deux de ses films qui n’ont pas été des succès. Spacek a une proposition pour tourner une pub à New York. Contacté, Brian De Palma l’encourage à s’y rendre, mais la comédienne opte finalement pour faire le bout d’essai qui va le convaincre de lui donner le rôle-titre. Ces images auront raison du veto du studio.

 

Pour se glisser dans la peau de Margaret White, sa mère, c’est un responsable d’United Artists qui suggère à De Palma de faire appel à Piper Laurie, sa voisine, même si elle a été oubliée des studios depuis la fin des années 1950 et ce, malgré une nomination à l’Oscar de la meilleure actrice pour L’Arnaqueur (1961) de Robert Rossen, avec Paul Newman.

 

Tournage Carrie

Tournage Carrie

 

Du roman à la version cinématographique

 

Le roman de Stephen King adoptait le point de vue de Sue Snell, interprétée dans le film par Amy Irving, et l’histoire était racontée en flashbacks. Pour Brian De Palma, que ce soit un scénario ou à un livre, c’est le potentiel visuel de l’histoire qui détermine ses choix. Il opte pour le point de vue de Carrie et supprime les flashbacks. Une scène avait été cependant tournée sur l’origine des pouvoirs télékinésiques de Carrie, lui permettant d’agir sur les objets par la seule force de la pensée, et dans laquelle, enfant, elle provoquait une pluie de pierres, mais elle a été écartée du montage final.

 

Plutôt que de suivre le livre et mettre l’accent sur les éléments surnaturels, le réalisateur a préféré insister sur le côté enfant vengeur, souffre-douleur de ses camarades de classe. Parmi les autres libertés prises, la vengeance de Carrie provoque la destruction du gymnase (et non celle de la ville) et sa mère meurt crucifiée par des couteaux (et non d’une crise cardiaque).


Carrie n’est pas sans évoquer la Cendrillon de Charles Perrault, une jeune fille vivant recluse qui rencontre le prince charmant et obtient la permission de minuit pour se rendre au bal. Dans le même registre, même si Brian De Palma a souvent affirmé qu’il n’y a jamais songé, des critiques n’ont pas manqué de faire un lien avec d’autres œuvres littéraires, celles d’Edgar Allan Poe, Le Masque de la mort rouge (la tragédie du bal) et La Chute de la maison Usher (l’effondrement de la maison).

 

Piper Laurie et Brian De Palma - Carrie

Piper Laurie et Brian De Palma – Carrie

 

Hommage à Alfred Hitchcock et Bernard Hermann


Brian De Palma n’a jamais fait mystère de son admiration pour Alfred Hitchcock, dont il découvre Vertigo en 1958 au Radio City Musical de New York, l’automne de sa première année de faculté. Un film qui l’a profondément marqué. Les références au Maître du suspense sont omniprésentes dans son œuvre, tant est si bien que de nombreux critiques vont lui coller sans discernement l’étiquette de « plagiaire ». Mais le cinéaste assume et revendique cette influence. La célèbre scène de la douche dans Psychose est reprise, rejouée, parfois détournée, dans onze de ses films, de Soeurs de sang (1973) à Passion (2012). Obsession, où un homme qui a perdu sa femme croit la retrouver quinze années plus tard, n’est pas sans évoquer Sueurs froides. Body Double peut être vu comme une variation de Fenêtre sur cour. Carrie n’échappe pas non plus à la filiation avec le réalisateur britannique.

 

Après avoir fait appel à Bernard Hermann, dont la carrière a été longtemps associée à celle de Hitchcock, pour la bande originale de Soeurs de sang et d’Obsession, Brian De Palma souhaite lui confier celle de son nouveau film. Cependant, le compositeur meurt la veille de Noël, juste après avoir terminé la partition de Taxi Driver. Pino Donaggio le remplace, mais on entend en guise d’hommage des stridulations de violon, comme dans le thème qui accompagne la scène de la douche de Psychose. Scène que l’on retrouve d’ailleurs au début de Carrie. Enfin, le Bates High School, nom de l’établissement que fréquente Carrie, renvoie à Norman Bates. Encore un clin d’œil à Psychose.

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Carrie

Carrie

 

« Un petit film de série B »

 

Si le budget initial de Carrie est dépassé, United Artists fait néanmoins une excellente opération financière qui rapportera 33,8 millions de dollars sur le seul territoire américain. En France, il fait près de 1,3 million d’entrées. L’accueil critique est plutôt positif. Deux ans après Phantom of the Paradise, Brian De Palma remporte de nouveau le Grand Prix du Festival international du film fantastique d’Avoriaz en 1977. Sissy Spacek et Piper Laurie sont l’une et l’autre nommées aux Oscars 1977.

 

Malgré le succès du film, De Palma a regretté, même bien après sa sortie aux États-Unis, la manière dont United Artists avait distribué le film. Il a reproché au studio de l’avoir traité comme une petite série B, le genre de film idéal pour Halloween et vite rentabilisé. Pourtant, le genre fantastique et horreur attirait du monde dans les salles, et des films comme L’Exorciste ou La Malédiction, déjà sortis, avaient fait leur preuve, battant des records au box office. Mais ils avaient des stars au générique et étaient tirés de bestsellers. Le roman de King n’a été en tête des ventes qu’à sa sortie en livre de poche, c’est le film qui a grandement contribué à sa notoriété.

 

Comme l’a souligné De Palma, United Artists visait le haut de gamme en 1976, avec des oeuvres telles En route vers la gloire de Hal Ashby ou Rocky de John G.Avildsen, qui sortira moins de trois semaines après Carrie, le 21 novembre. Bien sûr, lorsque Carrie a commencé a connaître le succès, le studio n’a pas hésité à tirer la couverture vers lui et à se féliciter de sa campagne de lancement…

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Source: CBO Box office

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