Livre / The Disaster Artist de Greg Sestero et Tom Bissell : critique

Publié par Charles Villalon le 20 janvier 2018

Résumé : Lorsque Greg Sestero, 19 ans, fait la connaissance d’un certain Tommy Wiseau dans une école d’acteurs de San Francisco, il est immédiatement fasciné par les improvisations délirantes de ce personnage improbable. Un face-à-face sur scène va changer leur vie à tous les deux. Ensemble, ils prennent une décision : partir pour Hollywood, et devenir des stars ! Un chemin semé d’embûches, qui démarre par des essais calamiteux, et une spirale de refus. Tommy Wiseau décide de reprendre leur destin en main et se lance dans la réalisation d’un film autofinancé à 100%. Le titre : The Room. Le script : incompréhensible. Les acteurs : lui et son copain Greg. Le tournage : chaotique. Malgré l’incompréhension d’une équipe dont il vire régulièrement chaque membre récalcitrant, Tommy Wiseau est persuadé de réaliser son chef-d’œuvre. Si bien qu’une fois le film terminé, il s’offre une publicité géante sur Sunset Boulevard et une avant-première de rêve. Le résultat ? Un bide retentissant, et à peine deux semaines à l’affiche. Tous les éléments sont en place. Le culte va pouvoir démarrer… Récit vécu, The Disaster Artist est autant une comédie désopilante qu’un témoignage stupéfiant sur un homme, Tommy Wiseau, qui a défié tous les codes de l’industrie cinématographique pour réaliser ce que le magazine Entertainment Weekly qualifiera de « Citizen Kane des mauvais films » ! Et qui, malgré de piètres talents d’acteurs, est devenu la star qu’il avait toujours rêvé d’être.

♥♥♥♥

 

The Disaster Artist - couverture

The Disaster Artist – couverture

Dans Contre-jour, sans doute l’un des plus grands romans de ce début de siècle, Thomas Pynchon avait entrepris de raconter l’histoire des États-Unis au tournant du siècle dernier par le biais de ses échecs historiques. S’ouvrant dans les faubourgs de l’exposition universelle de Chicago de 1893, parmi la foule anonyme, le roman s’attachait à faire la genèse d’inventions non-exploitées, de combats politiques avortés, autant de bouleversements qui auraient pu faire l’histoire mais qui sont restés lettre morte. The Disaster Artist n’est pas un roman ; ce n’est évidemment pas un livre de l’ampleur du chef-d’œuvre de Pynchon –et n’a d’ailleurs aucune prétention à l’être–, mais quelque chose dans cette histoire d’un raté intégral qui s’acharne à forcer la porte du succès y fait irrésistiblement songer. Sans doute parce qu’avant d’être le récit, aussi drôle qu’effrayant, du tournage du « Citizen Kane des mauvais films », The Disaster Artist nous montre en pleine lumière ce qui est d’ordinaire voué à rester dans l’ombre : l’envers du décor de la machine à rêve hollywoodienne. L’histoire commence à l’été 1998, après la victoire de la France en coupe du monde. Greg Sestero, auteur et narrateur du livre, vit à San Francisco. C’est un jeune homme réservé, solitaire. À peine sorti du lycée, il vient de commencer une carrière dans le mannequinat et rêve de devenir acteur. Un jour, dans son cours de théâtre, un élève, hurlant et titubant, massacre la scène la plus célèbre d’Un tramway nommé désir. Greg, que la timidité paralyse quand il fait face à un public, est fasciné par la façon dont cet apprenti acteur, par ailleurs épouvantable, ose se mettre à nu, semble étranger à la brûlure du regard de l’autre. Il prend son courage à deux mains et lui propose de travailler ensemble une scène pour le prochain cours. C’est ainsi que Greg lie irrémédiablement son destin à celui de Tommy Wiseau.

 

Tommy Wiseau et Greg Sestero - The Room

Tommy Wiseau et Greg Sestero – The Room

 

Futur pire cinéaste de l’histoire, Wiseau n’est encore qu’un marginal inquiétant. Au contact de Greg, il devient un ami encombrant et souvent sinistre qui vampirise le seul être qui a eu l’imprudence de s’intéresser à lui. Si Sestero n’est pas aveugle aux failles psychologiques et aux déficiences intellectuelles de son ami, il n’en demeure pas moins bienveillant dans la description qu’il en donne. Cette bienveillance est d’ailleurs la qualité fondamentale de The Disaster Artist – celle qui nous permet d’accéder à ce personnage monstrueux qu’est Tommy Wiseau, de l’appréhender sans trop d’effarement, de ne pas voir en lui qu’un cas pathologique. L’auteur parvient à nous faire sentir la séduction qu’un original de son espèce a pu opérer sur le tout jeune homme qu’il était alors. De fait, certains épisodes, comme celui du pèlerinage sur la route où James Dean a trouvé la mort au volant de sa Porsche 550, sont très touchants. Mais cette bienveillance ne tourne jamais à la complaisance et Sestero nous montre aussi Wiseau dans ce qu’il a de plus sombre. C’est cet équilibre entre bienveillance et lucidité qui permet, tout au long de la lecture, de toujours s’interroger, de ne jamais statuer définitivement sur cet être hors la loi vivant.

 

Wiseau est en effet un personnage fascinant. Malheureusement pour lui, et c’est là toute la tragique ironie de son destin, il ne l’est pas de la façon dont il aimerait fasciner. Sorte de Rupert Pupkin 2.0 (personnage principal de La Valse des pantins), il est obsédé par la célébrité. Comme le héros du film de Scorsese, Wiseau est prêt à tout pour que se braque enfin sur lui la lumière des projecteurs. Mais contrairement à lui, cette soif de reconnaissance ne repose sur aucune inclination artistique. Il en rêve comme d’une fin en soi, non comme d’une consécration de son talent – et pour cause, il en est totalement dépourvu. Il n’aspire pas à la reconnaissance de son travail mais à celui de son être. Wiseau prétend admirer Tennessee Williams et James Dean mais semble ne rien comprendre à leur travail, ni même n’y prendre le moindre intérêt. C’est cette incompréhension de toutes choses, mêlé de désintérêt, ce néant sans lumière qui caractérise son désir de célébrité. C’est d’ailleurs ce que va mettre en évidence la réalisation du film qu’il a écrit pour obliger le monde à reconnaître sa grandeur : The Room.

 

Tommy Wiseau - The Room

Tommy Wiseau – The Room

 

Car c’est ce qu’est ce film, dès sa conception : l’instrument de la revanche d’un être d’exception contre un monde qui l’a injustement dédaigné. Il n’est littéralement que cela, l’objet du fantasme d’un narcisse délirant. Contrairement à Ed Wood, le cinéaste qui l’a précédé au titre de pire réalisateur de l’histoire du cinéma, Wiseau ne poursuit aucun idéal esthétique. C’est ce qui frappe à la vision de son film, au-delà de toutes ses aberrations et de toutes ses maladresses. Ed Wood était sans conteste un piètre metteur en scène, mais il était possible de deviner, en regardant ses films, l’idéal esthétique qu’il se proposait d’atteindre. Ce n’est nullement le cas avec The Room. Impossible d’imaginer l’idéal vers lequel ce film tend car il n’est rien d’autre que le miroir déformant des rêves mégalomaniaques de son auteur. Sa version réussie, autant qu’on puisse en juger, ne serait pas un chef-d’œuvre du septième art mais un épisode, parmi tant d’autres, d’un soap-opéra insipide. Le véhicule fastidieux d’une gloriole éphémère.

 

L’adaptation de The Disaster Artist par James Franco, qui sortira en France en mars, vient de remporter le Golden Globe de la meilleure comédie – les scénaristes ayant transformé l’inquiétant psychotique en aimable ahuri pour les besoins de la cause. Fort de cette providentielle promotion, The Room va ressortir en salles dans tous les États-Unis. En outre, Wiseau tournera bientôt avec Sestero dans Best Friends, d’après un scénario que ce dernier a écrit pour lui rendre hommage. Le triomphe de Tommy Wiseau n’en est donc qu’à ses premiers balbutiements.

 

On aurait tort, cependant, de voir dans sa trajectoire une american success story, la revanche de l’outsider contre l’adversité. Elle est plus scorsesienne que cela : comme dans Taxi Driver, les atours du happy end dissimulent mal une réalité des plus amères. Loin d’avoir atteint le statut de star auquel il aspirait, Wiseau est plutôt devenu, comme l’aurait dit le grand Leonard Cohen, « le piédestal de sa propre monstruosité, sur laquelle notre regard, hypnotisé, se fixe ».

 

 

 

  • THE DISASTER ARTIST (The Disaster Artist: My Life Inside The Room, the Greatest Bad Movie Ever Made)
  • Auteurs : Greg Sestero, Tom Bissell
  • Éditions : Carlotta
  • Date de parution : 23 janvier 2018
  • Format : 272 pages
  • Tarif : 17 €

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