Inadmissible ! Plus de deux ans après sa Palme d’Or au Festival de Cannes et sa sortie dans les salles de cinéma, La Vie d’Adèle de Abdellatif Kechiche se voit retirer son visa d’exploitation attribué par la Commission de classification des Å“uvres du Centre National du Cinéma (CNC).
La décision a été rendue publique ce mercredi 9 décembre par la cour administrative d’appel de Paris, saisie par Promouvoir qui obtient ainsi gain de cause après avoir été déboutée en première instance en septembre 2014. Cette association a été créée en 1996 par un avocat, André Bonnet, catholique traditionaliste et ancien secrétaire national du Mouvement National et Républicain, née d’une scission avec le Front National.
Conséquence immédiate : sans visa d’exploitation, la diffusion de cette Å“uvre magistrale est totalement bloquée. Elle ne peut plus être diffusée dans une salle de cinéma, y compris dans le cadre d’un festival ou d’une rétrospective, ni par d’autres supports, comme la télévision, la vidéo à la demande ou en DVD.
La cour a estimé que LA VIE D’ADELE (notre critique), Palme d’Or à Cannes en 2013, comportait « plusieurs scènes de sexe présentées de façon réaliste, en gros plan, de nature à heurter la sensibilité du jeune public ». Ce qui s’appelle enfoncer une porte ouverte puisque le visa d’exploitation numéro 131739 du CNC le précisait déjà . Elle demande à la ministre de la Culture Fleur Pellerin de « procéder au réexamen de la demande de visa » d’exploitation du film dans un « délai de deux mois ». Dans les faits, actuellement interdit aux mineurs de 12 ans, La Vie d’Adèle pourrait l’être aux moins de 16 ou de 18 ans.
Le Ministère de la Culture, qui a chargé le président de la commission de classification Jean-François Mary, de lui présenter d’ici janvier des propositions de réforme, a fait savoir qu’il avait l’intention d’introduire un recours devant le Conseil d’Etat, afin de casser cette décision. Mais il est peu probable qu’il soit entendu. Ainsi, le 30 septembre, la plus haute juridiction administrative n’avait rien trouvé à redire sur la décision du juge des référés du tribunal administratif qui suspendait partiellement le visa d’exploitation de LOVE (notre critique) de Gaspar Noé qui était encore dans les salles.
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Bien entendu, Promouvoir, qui n’aurait que 350 adhérents, était déjà à l’origine de cette action. Elle se réfère à un article du Code du cinéma et de l’image animée, qui précise que tout film qui « comporte des scènes de sexe non simulées ou de très grande violence » doit être interdit aux moins de 18 ans. Une petite phrase qui ouvre à bien des interprétations et à un boulevard à la Censure.
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Cette association n’en est pas à ses premiers coups d’essai (voir notre dossier archivé, publié dans La Gazette des Scénaristes en 2008). Elle est même devenue experte en la matière avec une démarche entamée en 2000 par laquelle elle a obtenu l’interdiction aux moins de 18 ans de BAISE-MOI de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi. Elle est intervenue contre les classifications du CNC attribuées à Antechrist et Nymphomaniac 1 de Lars von Trier, KEN PARK de Larry Clark et SAW 3 de Kevin Greutert, avec la bénédiction des Sages du Conseil d’État.
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Selon Le Monde, Abdellatif Kéchiche ne semble guère s’offusquer du jugement. Cependant, les professionnels du cinéma, dont l’ARP (Auteurs- Réalisateurs-Producteurs) et le Syndicat Français de la Critique de Cinéma, ont déjà vivement réagi. Mais aussi, quelques jours auparavant, L’Observatoire de la liberté de création, en réponse à une lettre ouverte, adressée aux artistes par Marine Le Pen le 26 novembre dernier, avant le premier tour des élections régionales.
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Le cinéma, les films, et plus généralement les arts et la culture, sont les cibles privilégiées d’extrémistes religieux de tous bords et de groupuscules politiques qui entendent imposer leurs vues à la majorité. Ce n’est pas nouveau, mais la tendance s’accélère ces dernières années, encouragée par le comportement de partis soi-disant « respectables » et « fréquentables » et d’élus « responsables ». Il suffit de se remémorer le comportement d’un groupe politique à Cannes voici quelques années, lequel s’en est pris violemment à Hors la loi de Rachid Bouchareb, alors que ses membres n’avaient même pas vu le film. On peut également citer les décisions de municipalités d’obtenir la déprogrammation du très beau Timbuktu ou le retrait des affiches de L’Inconnu du Lac de leur bonne ville.
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À travers les atteintes répétées à la liberté de création et d’expression, c’est la Liberté tout court qui est gravement menacée aujourd’hui et le retour à l’obscurantisme qui se profile à grands pas. Il serait temps d’en prendre conscience car c’est parfaitement inadmissible !