À l’occasion de la sortie en salles ce 12 octobre de Voyage à travers le cinéma français, CineChronicle a eu l’opportunité de rencontrer Bertrand Tavernier pour évoquer brièvement ce fabuleux documentaire retraçant plus de 50 ans du cinéma hexagonal.
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CineChronicle : La jeune génération est certainement susceptible de ne pas connaître des cinéastes comme Vigo, Renoir… Réaliser ce parfait outil pédagogique aujourd’hui est-il un appel volontaire à la jeunesse qui se désintéresse du cinéma français d’hier ?
Bertrand Tavernier : Je tente de montrer que ce cinéma est vivant et qu’il peut parler aux plus jeunes générations. Si on est curieux, pourquoi passer à côté du plaisir gigantesque que peuvent procurer ces films ? D’ailleurs, beaucoup ont une résonance avec des sujets actuels. Lucky Jo de Michel Deville (1964) est un des premiers films français qui parle d’écologie. Dans Les assassins de l’ordre de Marcel Carné (1971), deux policiers tuent un homme pendant une garde à vue. Dans Toni de Jean Renoir (1935), on met en scène des travailleurs immigrés… Ces sujets ont leur place dans l’actualité et parlent à n’importe quel spectateur. Je suis convaincu que ce cinéma peut profondément toucher le public actuel. Je n’ai pas réalisé ce film en me disant que j’allais toucher les jeunes. J’espère cependant que ce cinéma puisse émouvoir les gens, que des professeurs, des éducateurs, des parents transmettent aux enfants l’amour qu’ils ont pour ces films. Aux États-Unis, un jeune homme m’a interpellé en me disant qu’il avait été touché par le documentaire. J’ai même réussi à faire passer ce genre de cinéma auprès de mes enfants. Quand on a vraiment la volonté de transmettre une passion, on y parvient.
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CC : Vous préparez également une série. Qu’allez-vous évoquer ?
BT : La série sera diffusée à la télévision et comprendra huit épisodes qui n’auront rien avoir avec ce documentaire. Elle sera programmée sur Ciné + puis sur France 5 et durera au total plus de neuf heures. C’est tout simplement ce que je n’ai pas pu mettre dans ce film. Dans l’idéal, j’aurai aimé avoir dix épisodes. Mais le financement est compliqué et j’ignore encore si j’arriverais à la fin des huit épisodes prévus. Je voudrais parler de ce que j’appelle des « cinéastes de chevet » comme Ophüls, Grémillon, Pagnol, Guitry, les nouveaux cinéastes sous l’Occupation… mais je n’irais pas au-delà des années 1970. Je considère qu’il faut avoir du recul. Je ne veux pas être prisonnier du présent et je ne peux pas évoquer les années où j’ai fait mes débuts comme metteur en scène. Et à l’inverse, je ne peux pas aborder la période du muet, un énorme continent que je maitrise beaucoup moins bien.
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CC : Apparemment certains extraits ont coûté 1000 euros la minute. Quels sont ceux que vous n’avez pas pu vous procurer ? Avez-vous rencontré des difficultés importantes de financement ?
BT : Dans un premier temps, il n’y avait pas de financement car je ne recevais aucune réponse favorable. Puis le déclic est venu de Jérôme Soulet, directeur du département vidéo de Gaumont et de Jérôme Seydoux, co-président de Pathé, qui ont souhaité participer à la réalisation du documentaire. Chose extraordinaire, ce film devient alors la première co-production entre les deux géants du cinéma que sont Gaumont et Pathé. Avec ces deux sociétés au financement, il était donc possible d’obtenir des extraits issus de leur catalogue de films, ce qui est déjà considérable. Pour d’autres extraits, il a fallu de nombreux échanges de lettres et de longues négociations avec des ayants droit. J’ai pu me procurer tous les extraits que je souhaitais, excepté celui des Enfants terribles de Jean-Pierre Melville (1950). Je voulais absolument cet extrait mais l’ayant droit souhaitait le vendre uniquement pour le documentaire, pas pour la télévision, la VOD, ni la vente à l’international. J’ai donc dû utiliser des photos du film et réenregistrer la musique avec l’aide de Bruno Coulais pour remplacer ce fameux extrait.
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CC : Qu’est ce qui a touché votre sensibilité de cinéphile ces dernières années et qui pourrait s’inscrire durablement dans la grande histoire du cinéma français ?
BT : J’ai beaucoup trop de titres en tête… Sur ces derniers jours, j’ai réellement apprécié Le Client de Asghar Farhadi. D’autres films m’ont boulversé ces dernières années comme les films de Xavier Giannoli, notamment Marguerite, ceux d’Arnaud Desplechin et de Benoît Jacquot comme Les adieux à la Reine et Trois cœurs… Sils Maria et L’Heure d’été d’Olivier Assayas avec la formidable Juliette Binoche. Je ne me sens pas passéiste et je ne suis pas du tout désabusé du cinéma actuel. Au contraire, je continue d’admirer l’évolution de la production cinématographique…
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Erwin Haye
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- VOYAGE À TRAVERS LE CINÉMA FRANÇAIS écrit et réalisé par Bertrand Tavernier en salles le 12 octobre 2016.
- Avec la collaboration de : Thierry Frémaux, Jean Olle-Laprune, Stéphane Lerouge
- Production : Frédéric Bourboulon
- Photographie : Jérôme Almeras, Simon Beaufils, Julien Pamart, Camille Clément, Garance Garnier
- Montage : Guy Lecorne, Juliette Alexandre, Mathilde Forissier
- Musique : Bruno Coulais
- Distribution : Pathé Distribution
- Durée : 3h15
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