La Mule de Clint Eastwood : critique 

Publié par Sévan Lesaffre le 23 janvier 2019

Synopsis : À plus de 80 ans, Earl Stone est aux abois. Il est non seulement fauché et seul, mais son entreprise risque d’être saisie. Il accepte alors un boulot qui, en apparence, ne lui demande que de faire le chauffeur. Sans le savoir, il s’est engagé à être passeur de drogue pour un cartel mexicain. Extrêmement performant, il transporte des cargaisons de plus en plus importantes. Ce qui pousse les chefs du cartel, toujours méfiants, à lui imposer un « supérieur » chargé de le surveiller. Mais ils ne sont pas les seuls à s’intéresser à lui : l’agent de la DEA Colin Bates est plus qu’intrigué par cette nouvelle « mule ». Entre la police, les hommes de main du cartel et les fantômes du passé menaçant de le rattraper, Earl est désormais lancé dans une vertigineuse course contre la montre…

 

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La Mule

La Mule

Clint Eastwood is back. Dix ans après Gran Torino, le réalisateur de Sully, Le 15h17 pour Paris ou encore Jersey Boys retrouve le scénariste Nick Schenk et se remet en scène dans La Mule, drame inspiré de l’histoire vraie de Leo Sharp, un horticulteur de 80 ans qui, acculé par des problèmes financiers, accepta de convoyer de la drogue pour un cartel mexicain. Travail, famille, patrie. Dans cette mort aux trousses eastwoodienne, le monstre sacré du 7ème art âgé quant à lui de 88 ans —dont la silhouette amaigrie, fragile et courbée le rend presque méconnaissable— se met à nu devant sa propre caméra en incarnant Earl Stone, vétéran de la guerre de Corée et octogénaire démuni devenu, par hasard, passeur afin de conserver sa maison et sa dignité. Sur les routes frontalières de la justice et de l’Amérique profonde, Eastwood accomplit ici une dernière chevauchée fascinante et signe une vertigineuse fiction testamentaire. L’acteur-réalisateur légendaire, qui traite comme toujours ses thématiques de prédilection —la solitude, la douleur, le sacrifice, le pardon…— incarne avec brio cet ancien combattant insoupçonnable, à la fois attachant, provocateur mais aussi profondément vulnérable, coupable d’avoir négligé sa famille. Père absent et mari défaillant, Earl, vieillard têtu et coriace —au profil atypique le rendant indétectable par la DEA—, est méprisé par son ex-femme (Dianne Wiest) et par sa fille (Alison Eastwood). Face à lui, on retrouve Bradley Cooper (American Sniper, A Star Is Born, American Bluff) dans la peau de l’agent Colin Bates, bien déterminé à traquer l’anti-héros. Ironie du sort, les trajectoires des deux protagonistes finissent par se croiser.

 

Clint Eastwood - La Mule

Clint Eastwood – La Mule

 

Si le minimalisme formel ampute parfois la mise en scène aussi mécanique qu’épurée de La Mule, la narration est fluide et les personnages sont structurés. Ici, il n’est plus question de légende mais de récit intime : la caméra explore simplement les visages, capte les regards, s’arrête longuement sur les expressions du vieil homme usé, rongé par le remord, conduisant tranquillement son pick-up en chantonnant des airs country et l’entêtant Ain’t That A Kick In The Head de Dean Martin. Les villes poussiéreuses et les paysages ruraux traversés par Earl reflètent l’abandon subi par ses proches. Clint Eastwood reprend les thèmes de La Corde raide, Les Pleins Pouvoirs, Mystic River ou encore Million Dollar Baby, à savoir ceux de la rédemption, de l’héritage, du trauma père-fille et des multiples troubles au sein de la cellule familiale. Il pointe du doigt les dures réalités sociales des États-Unis, expose ses propres failles et détourne également l’image qui lui colle à la peau au moyen d’un personnage niant le politiquement correct. Ainsi, le cinéaste se place au centre d’un drame introspectif, d’une confession, d’une fantaisie crépusculaire s’achevant sur une note méditative et mélancolique.

 

Plus qu’un autoportrait ironique, La Mule est truffé de références à la filmographie d’Eastwood : le spectateur perçoit notamment un clin d’oeil à l’ouverture deL’épreuve de force, la relation entre l’officier et le dealer rappelle celle de Red Garnett (Eastwood) et Butch Haynes (Kevin Costner) dans Un monde parfait, tandis que la présence d’un gang de motards évoque une obsession eastwoodienne des années 1970. Sous l’influence évidente d’Atlantic City de Louis Malle ou encore d’Une Histoire vraie de David Lynch, La Mule souffre probablement d’un rythme lent et de quelques incohérences mais retrouve dans sa seconde moitié la puissance émotionnelle des grandes Å“uvres d’Eastwood. Cette recherche de l’équilibre entre le travail, la vie personnelle et le rêve américain tissée par le scénario trace habilement le chemin de croix d’Earl Stone, pris dans un engrenage fatal, et conduit à une impitoyable confrontation avec la mort. Un film profondément humain, personnel, à la frontière entre thriller, polar, road-movie et mélodrame, sur la réconciliation et la quête d’une paix intérieure. Personne ne peut fuir éternellement.

 

 

 

  • LA MULE (The Mule)
  • Sortie : 23 janvier 2019
  • Réalisation : Clint Eastwood
  • Avec : Clint Eastwood, Bradley Cooper, Laurence Fishburne, Michael Peña, Dianne Wiest, Andy Garcia, Ignacio Serricchio, Alison Eastwood…
  • Scénario : Nick Schenk d’après l’œuvre de Sam Dolnick
  • Production : Clint Eastwood, Tim Moore, Kristina Rivera, Jessica Meier, Dan Friedkin, Bradley Thomas
  • Photographie : Yves Bélanger
  • Montage : Joel Cox
  • Décors : Ronald R. Reiss
  • Costumes : Deborah Hopper
  • Musique : Arturo Sandoval
  • Distribution : Warner Bros. France
  • Durée : 1h55

 

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